Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 28 août 2019 à 9h40
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Jean-François Delfraissy, président du CCNE :

Nous avions vraiment essayé de ne pas parler d'AMP, parce que vous allez en entendre parler tout le temps. Si le CCNE ne vous parle pas d'autre chose, vous allez passer à côté de 80 % de l'intérêt de cette loi. Je suis un peu provocateur en disant cela, nous allons répondre à vos questions, mais ne soyez pas obnubilés par ce sujet-là, alors qu'il y a des sujets fondamentaux qui sont traités dans le projet.

Je vais répondre à une très bonne question, sur l'économie de la santé, qui n'est pas tellement abordée dans cette loi - parce que c'est une loi de bioéthique. Dans les années qui viennent, un certain nombre de grands choix de santé vont être tiraillés entre les questionnements éthiques et les questionnements économiques. Comment allons-nous faire ? C'est pour cela que le mode de construction, de réflexion commune, de démocratie en santé est un élément intéressant. Nous avons commencé à l'évoquer dans les États généraux. D'autres pays sont intéressés par le sujet, qui dépasse l'aspect bioéthique.

Pour répondre à votre question, nous sommes dans un contexte de ressources limitées – même si en France, nous avons toujours considéré que nous étions capables de tout. Il y a un moment où il va quand même falloir faire des choix. D'autres pays l'ont fait. Il y a une explosion des coûts de santé. Là aussi, il y a une sorte d'éthique non respectée de l'industrie pharmaceutique, quant aux coûts qu'elle est en train de sortir, avec plusieurs centaines de milliers d'euros pour certains traitements annuels – voire pour certains traitements très spécifiques, plusieurs millions d'euros. Est-ce totalement éthique ? Nous sommes tiraillés car l'accès à l'innovation, avec des coûts extrêmement élevés – qui vont ensuite baisser – peut se faire au détriment de la création de conseillers génétiques, d'une augmentation du personnel dans les urgences ou dans les EHPAD.

Nous sommes bien là dans des choix économiques, mais se posent néanmoins une série de questions éthiques. Ce n'est pas abordé dans le projet de loi et je le comprends très bien. Pour nous, c'est un sujet qui sera essentiel dans les deux années qui viennent. Le CCNE a créé sur ce sujet un groupe de travail : l'accès à l'innovation est-il une obligation ? Est-il toujours possible ? L'avancée scientifique est-elle toujours un progrès pour la société ? C'est le scientifique que je suis qui parle.

Je comprends votre interrogation. Ce n'est pas traité dans la loi. Toutefois, nous devons reconnaître que l'administration a fait le calcul – avec des hypothèses – du coût que représenterait l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Par rapport au nombre de fécondations in vitro et de recours à l'AMP en France, cela représente finalement assez peu de choses. Le problème n'est pas là.

Sur l'accès aux tests génétiques, faudrait-il les rembourser ? C'est une autre question, pas évidente. Je pense qu'il faudrait les encadrer, de façon à ne pas laisser se déployer librement le modèle économique du privé, et qu'on ait un encadrement médical autour de cela – remboursement ou pas. C'est une autre affaire, nous ne sommes pas dans la même problématique, sauf s'il y a une indication médicale très particulière.

Nous serons inévitablement confrontés au sujet de l'accès à l'innovation. Je rappelle que sur ces choix de santé, à la fois économiques et éthiques, les Anglais ont monté une commission ad hoc incluant des citoyens. C'est parfois difficile, mais elle fait des choix. Notre modèle français est à des années-lumière de pouvoir le faire. Pourtant, il va y être obligé. Comment cela va-t-il se construire ? Il y aura évidemment des questionnements éthiques. Est-ce que nous privilégions l'innovation en permanence – comme nous l'avons toujours fait, poussés par les médecins ? Ou est-ce que nous nous interrogeons sur le fait qu'en médecine tout n'est pas dans l'innovation, et que beaucoup de choses se jouent dans l'humain et le contact - et donc dans les problèmes de personnel, par exemple ?

Sur l'AMP, j'ai du mal à vous répondre. Ce n'est pas que je ne veux pas, mais j'ai du mal. La position du CCNE a été formulée avant le projet de loi. À mon arrivée comme président, j'avais tenu à ce qu'il y ait une position du CCNE dans l'avis n° 126, indépendamment des choix politiques qui adviendraient ensuite. Nous nous en sommes expliqués. Il n'y avait pas de consensus au sein du CCNE. Une fraction minoritaire ne souhaitait pas ouvrir l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, mais la majorité l'avait souhaité. Nous avons confirmé cette position de façon plus consensuelle dans l'avis n° 129. Notre position est connue.

Vous demandiez ensuite s'il y avait un problème éthique. Au nom de quel raisonnement éthique pourrions-nous interdire à un certain nombre de couples de femmes et de femmes seules, d'avoir accès à une innovation de techniques médicales ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.