Le CCNE va continuer à ajuster son positionnement. Il est une instance indépendante, une instance qui bouge. La bioéthique n'est pas figée dans le marbre, c'est quelque chose qui évolue en conservant un certain nombre de grandes valeurs fondamentales qui sont le socle de notre bioéthique à la française, que nous avons retrouvées lors des États généraux, sur lesquelles nous avons insisté et qui sont étroitement associées au système de santé et à notre modèle.
Le CCNE n'est pas un gardien du temple. Il doit s'emparer de questions qui lui sont posées par des saisines extérieures ou dont il s'empare lui-même par autosaisine. La science interpelle, la société aussi interpelle, parce que ce sont des questions issues des innovations scientifiques ou issues de questionnements sociétaux qui touchent à la santé ; le CCNE s'interroge et met en place une série d'auditions, de questionnements, et ce pas forcément pour donner une réponse.
Il se trouve que l'avis n° 129 s'inscrivait dans la perspective d'un projet de loi ; nous avons été obligés d'indiquer un certain nombre de positionnements. Sur les avis du CCNE les plus récents, l'idée n'est pas de dire qu'il faut faire ceci ou ne pas faire cela. Le CCNE est là pour indiquer, poser les problèmes, écouter et donner certaines indications. Ensuite, les gens à titre individuel, à titre plus sociétal ou à titre plus politique, peuvent s'en emparer.
Il ne faut pas vivre avec l'idée d'un CCNE qui était un gardien du temple et refusait un certain nombre d'évolutions. Il faut voir un CCNE qui correspond à notre vision actuelle où tout dans la science est une avancée scientifique. Nous ne pouvons pas demander aux scientifiques de ne pas avancer, mais une avancée scientifique n'est pas forcément un progrès pour la société. C'est là que nous devons tous nous poser des questions et où le CCNE doit aider à mettre les sujets sur la table. Le CCNE va poursuivre en construisant un dialogue avec la société civile et par l'intermédiaire des espaces éthiques régionaux. Le CCNE sort de l'aventure des États généraux avec une vision un peu nouvelle, la nécessité d'une plus grande ouverture sur des questions qui animent la société civile.
C'est un fait, il n'y a pas consensus sur certains sujets : posons-les sur la table, prenons le temps de la discussion. Je rappelle que sur ces sujets de bioéthique, vous allez aboutir au bout de tout cela à pratiquement 500 auditions. Nous sommes un peu dans l'extraordinaire, je ne sais pas si c'est le génie français qui nous conduit à cela : prendre un temps de discussion et d'écoute comme cela vient d'être réalisé pour l'élaboration de cette loi, c'est construire une réflexion qui n'a rien à voir avec ce qui s'est fait jusqu'à maintenant.
Sur le rythme de révision fixé à sept ans, nous souhaitons plutôt le voir ramené à cinq ans. C'est notre position parce que cela tient compte de l'évolution de la science. Je ne reviens pas là-dessus.
Sur la génétique, l'eugénisme et les tests génétiques, certains autour de cette table ne sont pas tout à fait à l'aise, parce que la technologie n'est pas la science. La technologie a changé et elle va encore changer. Il y a dix ans, le séquençage du génome humain c'était un bâtiment de dix étages, deux consortiums concurrents, 500 personnes pour arriver à faire un bout de génome au bout d'un an. Maintenant, si je vais à l'institut Imagine à côté d'ici, ce sera séquencé demain matin. Un certain nombre de compagnies privées – je ne dis pas que c'est bien, c'est un constat – ont la capacité de rendre des résultats dans un délai raisonnable pour un coût qui est en train de se réduire de plus en plus. Nous entrons dans une sorte d'utilisation pas très médicale, puisque nous avons envie de faire un test génétique. Ce n'est pas moi, c'est la société qui veut cela.
Un certain nombre de pays, en utilisant ce type de techniques, en analysant les résultats qui pouvaient être tirés au regard de certaines populations, en évitant les mariages mixtes, etc., ont pu dépister un certain nombre de risques et éliminer certaines grandes pathologies. Certains pays comme le Danemark, Israël ou encore quelques États américains sont déjà dans cette vision-là.
J'ai entendu dire : « Le CCNE baisse les bras en disant que cela se fait ailleurs, donc il faut le faire ». Pas du tout, je me moque de ce qui se fait ailleurs et vous aussi. La technique est là et à partir du moment où il y a une offre, il va y avoir des consommateurs. Soit nous bloquons tout en disant que nous ne voulons pas voir, que nous ne savons pas, que nous allons vers l'eugénisme ; soit nous disons : « Essayons de coordonner cela, essayons de le placer dans le cadre de notre modèle français, qui est un modèle de dialogue médecin/patient, technicien/patient, conseiller génétique avec la personne, etc. ».
Je pense que si nous parvenons à intégrer ces démarches individuelles dans notre modèle, la moitié des demandes pour un tel séquençage ne se fera pas, parce que le conseiller en génétique expliquera à quoi cela sert et à quoi cela ne sert pas. Ce qu'ils attendent de ce séquençage, ce n'est pas du tout ce qu'ils attendaient en général. Si nous n'essayons pas de faire évoluer notre positionnement, j'ai peur que nous nous retrouvions totalement dépassés dans cinq ans avec une France vraiment très en retard. D'autant plus que nous aurons renoncé à une grande masse de données qui seront intégrées dans des bases de données étrangères et qui ne pourront pas être exploitées par le plan France Médecine Génomique. C'est un peu dommage.