Ces questions sont effectivement importantes. La première est sans doute la principale, et ramène à ce que j'ai dit dit en introduction à propos de ma préoccupation sur le taux d'échec. Ces 20 % seulement de succès amènent à recommencer sans cesse de nouvelles tentatives. Je ne sais pas si dans votre entourage, vous avez eu connaissance de personnes ayant participé à ce genre de prise en charge médicale, mais c'est vraiment un parcours de combattant, de combattante. C'est difficile, il y a beaucoup d'échecs, et un couple sur deux n'obtient pas le résultat escompté. En 2016, près de 300 000 embryons ont été conçus après fécondation in vitro, et seulement la moitié ont été aptes à être transférés ou à être congelés pour un transfert ultérieur. Parmi ceux transférés, seuls 16,5 % ont donné lieu à une naissance d'enfants, il y a donc une perte énorme.
J'espère que l'ouverture que nous souhaitons sur les possibilités de recherche sera effective avant que soient écoulés les dix ans qui nous séparent de la nouvelle révision de la loi de bioéthique, sinon, nous allons être vraiment bloqués. Le problème médical posé est que 60 % des embryons que nous implantons dans l'utérus ne vont pas se développer, et plus on avance en âge, moins les embryons ont la capacité de se développer. Nous avons donc le sentiment de faire une très mauvaise médecine, de faire une médecine en croisant les doigts, en espérant que cela fonctionne, alors que l'on pourrait avoir de meilleures connaissances, ou en tous cas, chercher à avoir de meilleures connaissances, pour ne pas faire des choses inutiles. Je ne crois pas qu'il soit justifié de dire que si l'on ouvrait un plus large accès au diagnostic préimplantatoire, pour apprécier le potentiel de développement embryonnaire, nous aurions de meilleurs résultats. Si l'on choisit les embryons à haut potentiel, on aura évidemment de meilleurs résultats d'implantation, mais globalement, un embryon à faible potentiel ne va pas être transformé en embryon à haut potentiel. Par contre, ce qui va changer est qu'on va arrêter de faire des gestes inutiles pour l'équipe médicale, mais surtout pour la patiente et le couple qui s'investissent psychologiquement et qui vont avoir encore une fois un échec d'implantation ou une fausse couche. Tout cela pourrait être détecté avant. À l'instar de la plupart des équipes internationales, nous demandons la possibilité d'utiliser le DPI mais pas de le généraliser, car nous savons qu'un certain nombre de couples ont un risque élevé : ceux où les femmes sont âgées – et nous sommes à une moyenne de 37 ou 38 ans –, et ceux où les femmes ont des échecs répétés. Je plaide pour ouvrir une possibilité de recherche sur les embryons qui vont être implantés, afin d'essayer d'éviter des gestes inutiles. Cela va changer le vécu des patientes, mais pas forcément le taux de succès. C'est quand même très important. Il n'y a pas très longtemps, j'ai rencontré un couple jeune qui avait fait plusieurs fécondations in vitro, avec à chaque fois 8 à 10 embryons et un transfert tous les deux mois, sans aucun résultat. Je les ai envoyés à l'étranger, puisque nous ne pouvions pas le faire en France, et il a été démontré que sur les dix embryons obtenus dans la tentative faite à l'étranger, neuf sur dix étaient anormaux. Neuf fois sur dix, on faisait donc l'implantation pour rien. Vous allez dire que l'on va sur l'eugénisme, que l'on est en train de sélectionner les embryons. Je crois qu'il faut être très clair : il ne s'agit pas de détecter telle ou telle caractéristique de l'enfant à venir, mais simplement de ne pas transférer ou congeler des embryons qui n'ont aucun avenir.
Quelles sont les voies de recherche ? Bien sûr, l'analyse chromosomique, parce que la plupart des aneuploïdies (les anomalies chromosomiques) aboutissent à des avortements et à des non-implantations. Mais il y a aussi une perspective de grands progrès dans les 10 prochaines années, car on voit, dans les réunions internationales, une recherche qui se développe pour caractériser le potentiel d'implantation. Il n'est pas question de rechercher d'autres caractéristiques de l'embryon – garçon ou fille, yeux bleus, ou tout autre bêtise. Il s'agit simplement de pouvoir déterminer, dans certains cas, une capacité à implanter ou pas. Puisque cette possibilité suscite l'émotion, je propose qu'une déclaration systématique soit déposée auprès de l'Agence de la biomédecine quand on envisage de faire cet examen et que, sauf motif particulier, il soit réalisé deux mois après. Cela distingue ce processus du deuxième chapitre du projet de loi qui concerne la recherche sans projet parental. Celui-ci concerne autre chose, les lignées cellulaires issues des cellules souche ; c'est donc autre chose.
Il faut peut-être distinguer les modalités, car on sait ce qu'on fait, on peut le justifier, mais on ne bloque pas le système comme il a été bloqué. J'ai vécu les quatre lois de bioéthique depuis 1994, et la dernière révision s'est intéressée à la congélation ovocytaire avec la cryopréservation : on a attendu 2011 pour pouvoir le réaliser en France, parce qu'on disait que c'était de la recherche sur l'embryon. Toute innovation était de la recherche sur l'embryon. À la lecture du projet de loi, j'ai trouvé que les deux aspects de la recherche, c'est-à-dire avec projet parental et sans projet parental, n'étaient pas suffisamment clairs, et qu'il y avait possibilité de confusion. Je rappelle que la loi du 6 août 2013, qui voulait ouvrir un peu la recherche sur les embryons destinés au transfert, n'a pas pu le faire, en raison de la phrase : « Tout embryon ayant bénéficié d'une recherche ne peut être transféré ». C'est la loi de 2013. La recherche sur l'embryon dans le cadre du projet parental, avec un projet de transfert et de grossesse, se voit donc opposer des obstacles qui posent problème. J'ai noté deux articles – les articles L. 2141-3-1 et L. 2151-5 – qui me semblent prêter à confusion et réinstaurer un blocage tel que celui que nous avons vécu avec la cryopréservation et la vitrification. Sur ce premier point clé, je crois être le porte-parole de beaucoup, même si cette recherche n'est pas la panacée et ne résoudra pas tous les problèmes. Nous pouvons offrir à certains couples un examen qui est aujourd'hui basé sur l'examen chromosomique, qui le sera demain sur les mitochondries, après-demain sur le métabolome et la production de protéines des embryons, pour pouvoir distinguer ceux qui, a priori, ont toutes les chances de s'implanter (encore que ce ne soit pas une garantie) de ceux qui n'en ont aucune, et en informer les couples.
Le deuxième point que vous avez soulevé est celui de l'information à donner aux jeunes. Cela rejoint le thème de l'information générale sur la gynécologie et la sexualité, même si les cours correspondants ne sont pas faits alors qu'ils sont obligatoires. S'ils étaient au moins réalisés sur la physiologie et la sexualité, nous pourrions glisser une information sur la fertilité. En effet, les jeunes ne sont pas très réceptifs lorsqu'on leur dit de but en blanc qu'ils vont avoir une infertilité à 35 ans. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire, mais il faudrait l'inclure dans une démarche globale d'information qui n'est pas réalisée, et cela appelle peut-être à revoir la façon dont on communique avec tous les jeunes, au lycée et au collège, etc., sur le rapport à l'autre. Cela touche aussi à d'autres thématiques comme l'agressivité et le respect de l'autre, particulièrement des jeunes filles.
Après 50 ans, toute personne reçoit une lettre de l'assurance-maladie disant qu'elle peut participer à une campagne de détection du cancer du côlon. De même, on pourrait par une démarche systématique informer toute jeune femme que la fertilité baisse avec l'âge et qu'il est possible de s'en préoccuper avant, par des examens relativement simples, et éventuellement un recours à l'autoconservation si cela apparait nécessaire. Encore une fois, il faut avoir un accompagnement et une discussion, et non pas l'imposer. Il faut donc un dispositif en deux étapes, l'une à un jeune âge qui devrait s'inscrire dans une démarche plus large sur la sécurité la contraception, l'IVG, la grossesse, etc., et l'autre plus ciblée, systématique, vers l'âge auquel on peut se poser la question. Nous ne devrions plus trouver en face de nous des patientes qui nous disent qu'elles ne savaient pas, d'autant qu'il suffit d'acheter n'importe quel journal grand public pour voir que telle actrice de tel âge a réussi.
La troisième question que vous avez posée est celle du don. Au tout début de cette entreprise d'assistance médicale à la procréation, il n'y avait pas de loi, il a fallu attendre 1994. Pendant 12 ans, de 1982 à 1994, nous n'avions pas de loi sur l'anonymat ou le non‑anonymat du don (je parle de la donneuse dirigée ou pas dirigée). J'ai reçu à cette époque un certain nombre de couples qui avaient une donneuse connue d'eux, et en expliquant un peu les modalités, en particulier le croisement que nous avions mis au point, qui respectait l'anonymat, et laissait le libre choix – c'était possible à cette époque, mais je n'ai pas pu le refaire et je ne peux donc pas vous donner d'informations plus récentes –, même si la majorité des couples venaient avec une donneuse connue, ils choisissaient en fait l'anonymat : la donneuse qui les accompagnait allait fournir la banque, et eux recevaient de façon anonyme – mais ils avaient l'autre possibilité. Faut-il supprimer totalement l'anonymat ? C'est une réflexion qui, à mon avis, n'est pas aussi fondamentale que le recrutement des donneurs, et je voudrais insister là-dessus, puisque vous avez ouvert le chapitre du don de gamètes. Comment agir, dans le cadre anonyme ou non anonyme, pour avoir suffisamment de donneurs ? Une des craintes suscitées par la modification de la loi est le risque de pénurie. On parle beaucoup de pénurie et du risque de commercialisation. Premièrement, il faut pouvoir accompagner réellement les donneurs et les donneuses, et je pense que tous les centres, qu'ils soient privés ou publics, devraient pouvoir faire des campagnes d'information quand bon leur semble, quand ils ont l'opportunité de le faire, et non pas être suspendus à une campagne nationale de l'Agence de la biomédecine (ABM), qui est passée inaperçue de la plupart. Elle a un intérêt, mais aussi un défaut, celui d'être loin des patientes qui vont avoir un parcours difficile. Il faut donc un accompagnement de proximité et rester humain. S'il y avait régulièrement, dans les différents centres, des petits stands où l'on pourrait parler du don (surtout avec le changement de la loi) et de ses modalités (anonyme, pas anonyme, accès aux origines ou pas…) – je dis « dans les centres », parce que c'est là qu'il y a une effervescence autour de ce problème –,ce serait un pas en avant. Je parle de l'information, ce qu'on ne peut pas faire aujourd'hui, ce qui n'est pas autorisé. Dans l'hôpital où je travaille, je ne peux pas organiser un accueil pour parler du don ou aller dans une faculté à côté pour parler du don. Normalement, ce n'est pas autorisé. Il faut être très attentif à lutter contre le risque de pénurie et de commercialisation par l'information et l'accompagnement.
Deuxièmement, le projet de loi organise l'accès aux origines. Mon opinion personnelle concerne le donneur ou la donneuse. Je ne remets pas en question le fait qu'un enfant né par AMP puisse, à l'âge de 18 ans, demander à contacter son donneur ou sa donneuse, et que les parents soient libres de dire ou de ne pas dire quel a été son mode de concerption. À ce propos, je n'ai pas bien compris si serait marqué dans l'acte de naissance le mode de conception d'un enfant, indépendamment de la responsabilisation des parents. Si tel est le cas, je trouve très problématique d'enlever aux parents la responsabilité de dire. Cela revient un peu à tatouer sur un enfant son mode de conception – fécondation in vitro ou pas, d'ailleurs. On entre ici dans un domaine qui me semble très dangereux. Je serai donc pour laisser aux parents la liberté de révéler le mode de conception, c'est de leur responsabilité. On peut conseiller, indiquer ce qu'on pense être bien, mais c'est aux parents de le dire ou pas à l'enfant.
Par ailleurs, l'enfant a le droit de demander ou de ne pas demander à connaître ses origines. Le donneur doit accepter d'être contacté si l'enfant le demande, mais à mon sens, il devrait pouvoir 18, 20, 25 ans plus tard, s'écarter de la position qu'il a prise au moment du don. C'est un peu comme les engagements que l'on contracte dans le mariage : après, on a quand même la possibilité de divorcer. Dans le domaine qui nous incombe, c'est surtout une réflexion par rapport au CNAOP. Vous connaissez le CNAOP et le fait qu'un enfant né dans le secret peut demander à la commission de recontacter sa mère. La commission va le faire, mais elle va demander à la mère – si elle peut la contacter – si elle souhaite rester dans l'anonymat ou si elle accepte de rencontrer l'enfant qui le demande. Elle a la liberté de décider. Alors pourquoi, cette liberté serait-elle donnée dans un cas et pas dans l'autre ? Je pense que cela aboutirait, la plupart du temps, à une acceptation de la demande de l'enfant, mais il faut quand même préserver une liberté, parce que la vie change, parce que beaucoup de situations peuvent rendre caduque la volonté initialement exprimée. En tous les cas, c'est mon sentiment. Je suis bien sûr favorable à une ouverture vers les données non identifiantes, mais aussi au-delà, à partir du moment où est offert le maximum de liberté à tous les acteurs d'une pièce de théâtre qui est quand même très particulière parce qu'elle se joue à 20 ans d'écart : l'engagement du donneur au début, l'acceptation des parents de dire ou de ne pas dire le mode de conception, ensuite ce que j'ai évoqué à l'instant.
Vous m'avez demandé si les centres privés pourraient intervenir dans le recueil des gamètes. Incontestablement il faudrait que tout le monde participe à l'information sur le don. Il existe 100 centres en France, 50 publics, 50 privés, et je ne vois pas pourquoi ils ne le feraient pas. Ensuite, il existe des règles de conduite, et si ells sont respectées, je n'ai pas d'opposition à cette extension, à condition que les centres privés participent à une sorte de service public. Cela étant, on peut aussi faire confiance aux collègues. D'ailleurs, je signale qu'après 30 ans de cadre législatif et 40 ans de pratique effective, il n'y a pas eu de dérives importantes en France à ma connaissance. On peut donc guider et accompagner des pratiques médicales qui sont très encadrées – d'ailleurs l'AMP est une des pratiques médicales les plus encadrées.
Je pense que le don fléché pourrait être autorisé. J'ai constaté que lorsqu'à l'époque on expliquait les différentes possibilités, la plupart des couples se tournaient vers le don non fléché, parce que cela peut créer des tensions au sein de la famille ou d'un groupe d'amis. Le problème de la dette du receveur n'est pas si simple que cela, et il faut bien y réfléchir. Il ne faut peut-être pas l'interdire totalement, mais en tous les cas, déclarer le « pourquoi du comment » de façon très précise.
Le sujet de l'insémination post mortem n'a pas été abordé, mais il revient sur le tapis. Il est heureusement de très faible ampleur ; néanmoins, à partir du moment où l'on accepte qu'une femme seule ait recours au sperme d'un donneur, il me semble difficile de refuser le recours au sperme d'un conjoint qui est décédé ou à des embryons déjà conçus ensemble dans une volonté affichée, et comble de la difficulté, si ce n'est pas accepté, de demander à la veuve ce qu'elle souhaite faire des embryons. Ensuite, elle se retrouve seule et a le droit de recevoir le sperme d'un donneur. Nous sommes face à la quadrature du cercle et là encore, il faut sûrement proposer un accompagnement, mais ni trop tôt, ni trop tard. Il ne s'agit pas de répondre à une douleur que l'on peut comprendre et que l'on a pu voir dans les médias, mais il ne faut pas non plus permettre de prolonger à l'excès le projet parental initial. Il faut peut-être fixer un cadre, une fenêtre pour la prise de décision, qui serait ouverte à condition d'être accompagnée pour tester l'équilibre ou le déséquilibre que cela pourrait entraîner.