Intervention de René Frydman

Réunion du mercredi 28 août 2019 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

René Frydman, Professeur émérite des universités, gynécologue-obstétricien :

Je vais tout d'abord répondre sur le point de l'eugénisme. N'oublions pas qu'en France, toute femme enceinte peut faire un examen par une simple prise de sang, qui va lui permettre de connaître le statut chromosomique de l'embryon ou du fœtus qu'elle porte. S'il existait un problème d'eugénisme, ce serait à ce niveau-là, parce que 800 000 personnes par an le font. Plutôt que faire une liste de ce qui est autorisé ou pas, de ce qui va être valable ou pas en matière d'analyse embryonnaire, et de créer pour cela une commission permanente pour analyser toutes les situations individuelles, il vaut mieux contrôler ce qui est fait ; c'est une meilleure solution et personne ne s'y oppose. C'est pour cela que je vous parlais de déclaration, pour savoir pourquoi on fait cet examen, pour le justifier. D'ailleurs dans ma note, j'ai pensé que toutes les acceptations de PMA et, en dehors même de problèmes génétiques, tous les refus de PMA devraient être répertoriés, parce que cela donnerait un cliché de ce qui est fait, et qu'il n'y aurait pas de possibilité de discrimination. En effet, certains ont peur que les demandes de couples homosexuels ne soient pas acceptées ici ou là, ou les demandes de couples ou de personnes âgées. Ce serait donc une bonne chose que chaque fois qu'un centre accepte ou refuse la demande d'un couple ou d'une femme seule, il explique sa décision. S'agissant de la caractérisation de l'embryon (j'ai cité le Canada qui interdit par exemple le diagnostic du sexe), sauf quand est détectée une maladie génétique liée au sexe (mais là, on sort du cadre du tout-venant), on n'a pas à informer les parents du sexe de l'embryon pour qu'il n'y ait pas de tentation d'un choix. Ce n'est d'ailleurs pas ce que l'on va chercher, mais cela va apparaître au moment où l'on fait le caryotype, et c'est souvent fait à l'étranger pour d'autres raisons. C'est une situation qui est claire. Après, c'est quand on saura précisément pourquoi on fait ces examens que l'on pourra faire un bilan et peut-être décider de rétablir des limitations. Faire une liste a priori ne me semble pas judicieux, il faut plutôt déclarer que l'on va faire cette recherche de caractéristiques génétiques, en donner les motifs et avoir des documents qui permettent d'en faire l'évaluation, parce que ce qui se passe trop souvent est qu'on interdit de peur d'évaluer, ou qu'on interdit sans évaluer. Or les outils et la volonté de toutes les institutions, des médecins comme des biologistes, d'évaluer ce que l'on fait, existent réellement. L'existence d'embryons surnuméraires est la conséquence de la loi actuelle. Quand on dit qu'il n'est pas possible de détruire des embryons, même si les couples ne décident rien quant à leur avenir, évidemment, ils s'accumulent, et on déplore ensuite qu'il y ait beaucoup d'embryons dans les cuves. Si, en revanche, nous conduisions les études sur l'embryon dont nous venons de parler, on pourrait espérer pouvoir transférer un seul embryon et éviter les grossesses multiples. Nous ne garderions également que les embryons à haut potentiel d'implantation. Il n'est pas utile de garder les autres, qui n'ont pas de destinée si ce n'est de faire illusion et de créer de toute pièce des difficultés quant à la décision à prendre par rapport à leur devenir. Je crois qu'au bout d'un certain temps, sans manifestation du couple après plusieurs relances, il faut fixer une limite à la conservation des embryons. C'est parfois difficile pour les couples, et 15 à 20 % d'entre eux n'arrivent pas à trancher, d'où l'intérêt de pouvoir leur offrir des embryons ayant toute aptitude à s'implanter, même si le taux de réussite est loin d'atteindre 100 %. Il faut donc expliciter par écrit l'acceptation et le refus de l'AMP, que ce soit transparent vis-à-vis de la l'Agence de la biomédecine, et lever la confusion que vous avez signalée en écrivant un article de loi clair concernant la recherche sur des embryons destinés à être implantés, qui ne doit pas du tout être assimilée à celle qui peut avoir lieu en l'absence de transfert dans les cas où il n'y a pas de projet parental. Il faut bien distinguer les deux, et soumettre la première à déclaration et la seconde à autorisation, parce que dans ce dernier cas, on entre dans des études longues : c'est un travail scientifique qui va s'étaler sur plusieurs mois, voire plusieurs années, pour la mise au point de telle ou telle lignée cellulaire ou la mise au point d'une action thérapeutique. Alors que là, nous parlons d'un diagnostic proposé lorsque le couple est pris en charge, avec son consentement.

Au regard du remboursement, dans la pratique, on explique aux femmes de plus de 42 ans qu'elles doivent être conscientes de la difficulté de la démarche, et que le succès dépend largement de leur parcours personnel. On passe un quart d'heure à expliquer que c'est voué à l'échec, qu'il vaudrait mieux arrêter et peut-être se tourner vers l'adoption, qu'en tous les cas cela ne sert à rien de continuer. On s'entend alors répondre : « Docteur, j'y ai droit, c'est remboursé par la Sécurité sociale, et je vous demande de le faire, même si vous me dites que j'ai 0,01 % de chance de succès ». En effet, cela renforce un peu ce que la société voudrait éviter, c'est-à-dire la notion de droit à l'enfant. Je suis d'accord pour une prise en charge remboursée par la Sécurité sociale jusqu'à 43 ans, pour les deux premières tentatives, si cela n'a pas fonctionné, comme dans la plupart des pays. Ensuite, on peut réfléchir à établir une participation financière, en fonction des cas de figure. En effet, il ne s'agit pas d'écarter quelqu'un qui serait hors du jeu économique, mais aux débuts de l'AMP, beaucoup de couples étaient d'accord pour être soumis à une participation, ce qui renforçait un peu leur position, et l'idée que cette participation financière permette d'alimenter un fonds général pour la recherche était très bien accueillie. Je soumets cela à votre réflexion.

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