Intervention de Geneviève Delaisi de Parseval

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 10h40
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste :

Je suis très honorée d'être entendue par votre commission, surtout à un moment qui est particulier, puisque le projet de loi est très près de devenir une loi, d'ici un mois, si j'ai bien compris. Comme je l'ai dit dans ma note, depuis des dizaines d'années – ce qui me rend peut-être la plus âgée d'entre vous –, j'écoute des sujets humains concernés par la procréation médicalement assistée (PMA). En tout premier lieu, et c'est presque le fil rouge que je ressens en lisant ce projet de loi, je me réjouis de la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes. Certains disent « l'accès aux origines », mais je préfère que les choses soient claires. Les donneurs étaient totalement anonymes et dans ce projet, ils ne le seront plus du tout, au sens où le donneur donnera en sachant qu'à la majorité de l'enfant conçu grâce à lui, ce dernier pourra avoir accès à son identité complète. Un certain nombre de pays ont déjà adopté ce système, notamment l'Australie, l'État de Victoria, la Suède, etc.

En termes psychanalytiques, un mécanisme très intéressant s'est joué dans les institutions. Au début, dans les vingt premières années des centres d'études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), il y avait un déni total de la participation d'un donneur de gamètes. À l'époque, j'étais consultante auprès d'un CECOS et nous expliquions aux parents qu'il y avait un don de gamètes, mais que c'était comme un don de sang. C'était quasiment anodin, même si « anodin » est un terme un peu fort. Beaucoup de parents étaient finalement très contents de ce système, la loi avalisant ce déni, puisque comme dans la filiation charnelle, le père était le mari ou le compagnon de la mère.

À la suite de nombreux colloques, discussions, etc., nous sommes passés à une autre phase, que j'appelle la phase de dénégation, qui n'est pas datée exactement. Les CECOS disaient aux parents demandeurs : « Oui, bien sûr, il y a eu un don de gamètes, mais ce n'est pas très important. Cela existe, mais ce n'est pas très important et n'aura pas d'incidence sur l'avenir de l'enfant, votre couple, etc. » A l'appui de cet argument, il était dit : « Le donneur est anonyme pour l'éternité et vous êtes donc protégés contre toute intrusion possible de ce donneur dans votre famille, quand votre enfant aura vingt ou trente ans. » Cela arrangeait un certain nombre de personnes tandis que d'autres commençaient à bouger un peu sur ces positions. Surtout, les enfants conçus ainsi grandissaient, évidemment, et se sont petit à petit constitués en associations, dont la plus importante est PMAnonyme. Vous avez peut-être entendu M. Vincent Brès qui est son président. Il est difficile de donner un nombre, parce que nous ne savons même pas combien d'enfants sont nés d'AMP avec tiers donneur, beaucoup ne sachant pas qu'ils ont été conçus par don anonyme. En tout cas, parmi ceux qui s'expriment, qui sont entre 100, 200 et 300 – il est impossible de donner un chiffre précis –, beaucoup s'expriment largement dans les médias. Vous les avez déjà entendus à la précédente législature, ils demandent à avoir accès à l'identité du donneur à leur majorité, tout en ayant bien compris que le donneur n'est pas un père. Ils ont un père et le donneur fait partie de leur histoire, mais ce n'est pas un père.

Pour vous donner un exemple, j'ai reçu avant-hier un SMS d'un jeune homme qui fait partie de PMAnonyme. Je lui ai téléphoné et il est d'accord pour que je cite son SMS. Il est marié, a un enfant de six ans et comme beaucoup de ces jeunes gens en ce moment, il a fait appel aux tests génétiques, qui font florès depuis environ deux ans. Il a passé deux ans à chercher son géniteur. Il s'est même mis en arrêt de travail, afin de passer ses jours et ses nuits sur Internet. Après moult figures, il m'envoie un SMS : « J'ai trouvé mon donneur de source sûre. » C'est une personne qui a fait des études supérieures, quelqu'un de très bien. Le hasard a fait qu'il est tombé directement sur les enfants de ce donneur (je n'aime pas beaucoup le mot « donneur », mais je m'en expliquerai plus tard, si vous le voulez). Il est tombé sur les enfants de ce monsieur, qui ont à peu près son âge. Ces enfants ont demandé qui il était et il leur a expliqué. Ils lui ont dit : « Nous sommes donc parents. Notre père nous a toujours dit qu'il avait fait des dons. » Cela a tout de suite allégé l'atmosphère. Pour l'instant, il est très prudent. Il m'a dit : « Tout se passe bien, mais je ne bouscule rien. La balle est dans le camp de ce monsieur. » Il connaît son nom, son adresse, mais ne l'a pas encore rencontré. Il a échangé des SMS avec lui. Il a vu ses enfants qui lui ont dit : « Nous nous reverrons plus tard. » Il me dit : « J'aimerais bien vous en parler, mais pour l'instant, tout va bien. »

J'ai suivi beaucoup de personnes dans ce cas et je dois dire que je suis un peu inquiète de ce recours complètement fou aux tests génétiques. En ce moment, un millier de jeunes gens passent leur vie sur Internet à chercher leur donneur. J'ai vérifié auprès de M. Vincent Brès, pour l'instant, une quinzaine de jeunes gens ont trouvé leur donneur et jusqu'à présent, tout se passe bien. En tant que psychanalyste, je me méfie un peu. J'ai peur qu'un jour, les choses ne se passent pas si bien. Cette loi me réjouit vraiment. Ce jeune homme me disait tout à l'heure au téléphone : « Si ce projet de loi passe, nous ne serons plus obligés de passer nos jours et nos nuits sur Internet. Les choses seront claires. » Je me réjouis donc beaucoup de cet article 3 qui permet de révéler des renseignements complets sur cet homme à la majorité de l'enfant.

Un point m'inquiète un peu et ne me semble pas vraiment abordé dans la loi. C'est la question du don d'ovocytes, qui est un peu plus compliqué que le don de sperme. J'ai suivi un certain nombre de patientes qui ont eu des enfants grâce à un don d'ovocytes. Il y en a beaucoup moins que d'enfants nés par un don de sperme, puisque le don d'ovocytes a commencé en 1984 ou 1986. Pour la mère, il est beaucoup plus compliqué de dire qu'elle veut accéder à l'identité de la dame qui a donné son ovocyte, parce qu'elle a été enceinte, que c'est elle la mère. Bien souvent, rien n'est dit à personne. Les voisins, les amis savent qu'ils ont fait des fécondations in vitro (FIV). Un jour, la FIV fonctionne et l'on ne sait pas qu'elle a fonctionné, parce qu'ils sont allés en Espagne ou en République tchéque. C'est un deuxième point dont je me réjouis, à savoir que les patients ne soient plus obligés de dépenser un argent fou et de partir à l'étranger, alors qu'ils pourraient très bien faire cela en France.

J'ai un commentaire sur la version du projet de loi que j'ai lue, sur les articles 4 et 4 bis. Je sais que le 4 bis n'a pas été retenu, mais mon commentaire porte sur le fait de déposer une déclaration anticipée de volonté chez un notaire, si je comprends bien, pour les couples homosexuels, les femmes lesbiennes et les femmes célibataires. Si j'ai bien compris, puisque j'ai appris hier qu'il n'y avait plus de 4 bis, ce ne sera pas exigé pour les couples hétérosexuels. Les hétérosexuels se coulent dans le moule actuel de la filiation charnelle. Je me permets d'espérer que l'article 4 inclura les couples hétérosexuels dans cette déclaration anticipée, au sens où mon expérience beaucoup plus grande de couples hétérosexuels me fait penser que si ces couples qui ont reçu un don le disent à un notaire sous le sceau du secret professionnel, ce sera consigné dans les minutes du notaire. Ce ne sera su par personne, mais petit à petit, au fil des années, cela les aiderait peut-être à dire à leurs enfants devenus adultes – ou à l'âge qu'ils veulent –, qu'ils ont fait appel à un donneur. Je crois que d'un point de vue pédagogique, le fait qu'un notaire ait reçu cette déclaration anticipée de filiation pourrait les aider. Je suppose que ce sera discuté entre vous et avec les députés au mois de septembre.

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