Je voulais vous remercier pour votre combat pour la levée de l'anonymat, cette évolution vers une société de transparence qui correspond aux temps modernes, en évitant les dénis, les mensonges. Sans juger ce qui a été fait au début, vous parlez de la phase initiale, où avec le Pr David, le don de sperme, comme le don d'organes, a été calqué sur le don de sang qui était le premier dans l'histoire. Tout a été fait sur ce modèle. Nous nous rendons compte ensuite que chaque modalité de don doit être prise dans sa singularité. Le don de gamètes est effectivement très différent du don de sang et vous avez eu raison de le rappeler.
Je voudrais citer une phrase tirée de l'un de vos écrits : « Nombre d\'études font apparaître que le secret de l\'anonymat engendre souvent chez les enfants de la honte, sans qu\'ils comprennent pourquoi. » Cette honte confuse, souvent laissée dans le subconscient, mais qui transparaît, est tout à fait importante. Vous avez cité une anecdote et je voudrais très brièvement en résumer une autre. C'est une personne, que vous avez peut-être rencontrée, qui est maintenue dans l'ignorance du don, mais dont les parents sont d'âges différents, le père étant bien plus âgé que la mère. Cette personne a senti une confusion bien que ses parents s'aimassent beaucoup et qu'elle vécût dans une famille unie. Elle s'est imaginé que son père, âgé, était peut-être devenu impuissant et que la mère désireuse d'avoir un enfant avait trompé son père, avait cherché ailleurs, par voie charnelle, la possibilité de développer une famille et était ensuite revenue dans sa famille, en maintenant l'amour familial. Cet enfant avait en définitive transposé le don dans quelque chose qui était plus difficile à accepter que si on lui avait dit la vérité. Cette forme assez confuse de honte, qui suscite la recherche d'une vérité qu'ils n'arrivent pas à appréhender complètement, existe chez beaucoup d'entre d'eux.
Les chiffres, aussi mauvais, imparfaits, ignorés qu'ils soient suggèrent qu'aujourd'hui, 70 % à 80 % des enfants nés d'un don en France l'ignoreraient. Je le mets entre guillemets, puisqu'aucune statistique n'existe, mais en tout cas, c'est une très grande majorité d'enfants qui n'ont pas été informés de ce don. Ma question est la suivante : puisque nous avons d'un côté l'intérêt de l'enfant, de l'autre côté la réalité d'aujourd'hui qui est l'ignorance, faut-il encourager davantage la révélation de la vérité auprès des enfants ? Aujourd'hui, c'est vrai dans l'état actuel du texte, la déclaration anticipée de volonté ne vaudra que pour les couples de femmes homosexuelles et peut-être plus ou moins pour les femmes seules, mais pas pour la majorité des couples bénéficiant d'un don, c'est-à-dire les couples hétérosexuels. Ne sommes‑nous pas en train d'induire une discrimination négative contre les enfants nés dans un couple hétérosexuel – ce qui est quand même étonnant – qui seront privés d'avoir une chance d'accéder à leurs origines ? L'article 3 ouvrant l'accès aux origines sera voté, je n'en doute pas. Mais pour accéder à ses origines, il faut savoir que l'on est né d'un don. Or, si 80 % l'ignorent, 80 % n'auront pas accès à leurs origines. Vous encouragez nous à militer pour que cela soit étendu à tous, ce qui aurait l'avantage de n'introduire aucune différence, aucune disparité, aucune inégalité entre tous ceux, couples homosexuels, hétérosexuels ou femmes seules, qui recourent à un donneur ?
Je vais terminer par une question que vous-même avez posée dans votre texte. Vous parlez des donneurs « ancien régime ». Chacun comprend que cette expression vise les dons effectués avant la modification prévue par le projet de loi. Vous suggérez qu'il est important et nécessaire que nous nous organisions, pour que ces donneurs soient recontactés, pour que pendant cette phase intermédiaire, nous puissions donner une chance d'ouvrir la possibilité d'une évolution similaire pour les donneurs qui vont avoir leur sperme utilisé dans les jours prochains, comme pour ceux qui ont donné il y a déjà longtemps, et dont sont issus des enfants qui sont déjà nés ou dont vont naître très bientôt d'autres enfants. Évidemment, nous ne pouvons pas établir d'incitation « forte », puisque ces donneurs ont donné selon un contrat différent. Nous le savons pour en avoir interrogé plusieurs, certains parmi eux sont tout à fait d'accord pour ouvrir la possibilité de lever l'anonymat. Cela serait une solution bien plus satisfaisante que des tests génétiques ou des études de généalogie, car elle serait bien plus humaine que lorsque la vérité est découverte de façon indirecte, artificielle. Le contact humain entre les parents et l'enfant, c'est-à-dire les parents disant à l'enfant qu'il est né d'un don, comme le contact humain entre le donneur et l'enfant est sûrement la solution préférable. Vous nous encouragez à solliciter cela et si vous aviez des idées pour faciliter cela, nous vous en serons reconnaissants.