Intervention de Coralie Dubost

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 10h40
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCoralie Dubost, rapporteure :

Merci de vos explications très enrichissantes. Je suis rapporteure de ces fameux articles 3 et 4 sur l'accès aux origines et l'établissement de la filiation. J'ai entendu la préoccupation de mon collègue sur l'extension éventuelle de la déclaration anticipée de volonté (DAV) à l'ensemble des couples ayant recours à un tiers donneur. J'entends le caractère discriminatoire qu'il pourrait y avoir à la réserver aux familles homoparentales. Je redoute que les espoirs mis dans la « DAV pour tous » soient en réalité juridiquement assez inefficaces. Étant donné le droit actuel de la filiation applicable aux familles hétéroparentales, quand bien même un couple hétérosexuel signerait une DAV au moment du consentement devant notaire, ils n'en auraient pas besoin pour reconnaître l'enfant. Il n'y a donc aucune garantie que la DAV soit transcrite dans l'état civil et que l'enfant soit informé. En réalité, une DAV serait très peu efficace en termes d'accès aux origines : seuls les parents qui souhaiteront donner l'information le feront savoir. Sinon, cela restera dans le secret notarié.

Par ailleurs, les couples hétérosexuels doivent déjà consentir au don devant le notaire. Je doute donc – je vous soumets cette question – que la filiation soit un moyen efficace d'informer de leur mode de conception les enfants issus d'une aide médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur. Au-delà de la question de l'identité du donneur, l'enfant est sous la responsabilité de ses parents jusqu'à sa majorité, mais il doit pouvoir s'autonomiser sur le plan médical dès sa « majorité sexuelle ». Je pense à un enfant né d'une AMP avec tiers donneur (peu importe l'orientation sexuelle de ses parents) qui à sa majorité sexuelle voudrait aller chez un gynécologue sans en parler à ses parents et aurait besoin de savoir quels sont ses antécédents médicaux, afin de pouvoir être correctement pris en charge. Nous savons qu'il y a parfois des contre-indications dans la contraception, selon certains héritages génétiques. S'il n'en est pas informé, comment peut-il recevoir le bon traitement, la bonne information ? N'est-il donc pas impératif de permettre cette communication, au moins à ce moment-là ? De quelle façon ? Avec quel type d'interlocuteurs ? Devons-nous le laisser à la discrétion des parents, tout en en réfléchissant à cet impératif ? Cela doit-il passer par la commission prévue par l'article 3 ou par une vigilance accrue du médecin de famille ?

Une autre option en matière de filiation n'avait pas été retenue dans l'avant-projet de loi et je le regrette parce que je trouve que c'est la solution la plus simple. C'est la simple extension du droit commun, ce qui est réclamé par une partie des associations. Il s'agit de dire : « Faites de nous des citoyens comme les autres, des parents comme les autres. Pourquoi ne pourrions-nous pas aller juste reconnaître notre enfant à l'état civil, sans avoir besoin de garantir la filiation par une DAV et en restant sur le consentement au don qui existe déjà ? » Nous pourrions avoir le même consentement au don, la même reconnaissance anténatale, ou postnatale et poser la question des origines en dehors du lien de droit qui se crée entre le parent et l'enfant. Déconnectons la question de l'identité de celle du lien de droit qu'est la filiation. Il est dommage que cette idée, intéressante, ait été évacuée du débat, parce que seules deux autres options ont été présentées au Conseil d'État. Cela permettrait également de voir la filiation sous un angle plus global, sans distinguer procréation avec ou sans tiers donneur, mais en faisant uniquement intervenir une notion d'engendrement. Sans avoir à questionner la vérité biologique, mais simplement sur cette idée d'engendrement, nous pourrions établir une filiation pour tous, indifférenciée selon que l'on naît d'une famille hétéroparentale ou homoparentale, avec tiers donneur ou sans tiers donneur. Est-ce ce plus pertinent pour la société et tous ces enfants de se sentir unifiés dans leur construction sur une filiation qui serait celle de droit commun ? Les techniques d'AMP interrogent certaines familles et la société, alors serait-il pertinent de distinguer des modes d'établissement de la filiation, non sur le fondement des origines, mais sur celui du lien de droit entre ceux issus d'un projet parental formalisé et ceux issus de procréation charnelle ?

J'ai deux autres questions. Lors d'auditions précédentes, nous avons entendu des approches parfois stéréotypées, parfois pas, sur la notion d'altérité dans la construction d'un enfant. Je voulais avoir votre point de vue là-dessus. Quelle altérité l'enfant doit-il percevoir dans sa construction et auprès de qui ? Cette question vaut également pour l'AMP destinée aux mamans solo. Enfin, vous avez dit quelque chose que je trouve intéressant, à savoir que le mot « donneur » ne vous satisfait pas. Quel autre terme nous proposez-vous et pourquoi ?

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