Intervention de Anne-Marie Trarieux

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Anne-Marie Trarieux, présidente de la section Éthique et déontologie :

Nous rappelons tout d'abord que ce projet de loi relatif à la bioéthique reprend des propositions et des demandes qui ont été présentées à la fois par le CCNE, l'ABM et l'Académie de médecine. Compte tenu du temps dont nous disposons dans le cadre de cette audition, ma présentation se limitera à certaines dispositions du projet de loi concernant directement ou indirectement l'Ordre des médecins et qui après une première analyse semblent nécessiter des précisions, des clarifications, voire des modifications. Cette liste n'est aujourd'hui pas exhaustive et le Conseil national pourrait être amené à formuler d'autres demandes, au fur et à mesure des consultations qu'il entend mener.

Le premier sujet est celui de l'accès à l'AMP. L'Ordre des médecins a déjà indiqué que l'extension de l'AMP, telle qu'elle est aujourd'hui proposée, ne soulève pas d'obstacle majeur au regard des règles fondamentales de l'éthique médicale en général et des quatre principes d'autonomie de la personne, de bienfaisance, d'absence de malfaisance et de justice. Si la société et la loi décident d'une AMP élargie aux couples de femmes et aux femmes seules, l'Ordre ne peut s'y opposer, sous réserve que soient respectés les principes de non-discrimination et de liberté du médecin.

Le projet de loi exclut la possibilité de continuer le projet parental en cas de décès de l'un des membres du couple. Maintenir cette interdiction dans une situation qui, rappelons-le, est exceptionnelle pose question, dès lors que le projet de loi ouvre l'accès de l'AMP aux femmes seules. Comme l'indiquent le Conseil d'État et le CCNE, pouvons-nous légitimement nous opposer à la mise en œuvre de l'AMP, dès lors que cet acte prolonge sans la moindre ambiguïté le consentement et le projet parental ? Toutefois, un encadrement dans le temps de cette possibilité serait à définir. Si l'exclusion était levée, cette question fondamentale devrait être abordée de façon anticipée avec le couple, lors de l'élaboration du projet parental, et la loi devrait prévoir et d'apporter toutes les garanties nécessaires.

Un point d'attention concerne l'introduction d'une limite d'âge pour l'accès à l'AMP : l'Ordre des médecins sera attentif au contenu du décret qui préciserait les conditions d'âge requises pour bénéficier d'une AMP. Il devra être très clair sur l'information des patientes quant aux risques encourus du fait d'une grossesse tardive.

La mise en œuvre de l'AMP par l'équipe clinico-biologique est un autre point sur lequel nous sommes amenés à poser une question. Dans le cadre des entretiens menés pour la mise en œuvre de l'AMP, le projet de loi introduit une procédure d'évaluation médicale et psychologique des deux membres du couple ou de la femme non mariée. Quel sera l'impact de cette évaluation médicale et psychologique sur la mise en œuvre de l'AMP ? Pourrait-elle justifier un refus de la part du médecin, et si oui, sans que ce dernier ait à le motiver ? Qu'en est-il de la motivation de ce refus ?

Le projet de loi indique également que l'AMP ne pourra être mise en œuvre par un médecin ayant participé aux entretiens, lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions légales. Cela suppose-t-il qu'un autre médecin pourra alors mettre en œuvre l'AMP, lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues par la loi ? Le projet de loi ne le précise pas et cela pourrait conduire à des difficultés d'interprétation.

Ces dispositions méritent donc d'être clarifiées, afin d'éviter tout risque de contentieux.

Nous rappelons que l'ouverture de l'autoconservation des gamètes à toute personne qui en fait la demande impose une information parfaite des personnes, en particulier sur le rapport bénéfices-risques de cette démarche. Nous nous interrogeons sur la pertinence d'avoir écarté les établissements privés de santé.

Concernant le nouveau droit d'accès aux informations concernant le tiers donneur, nous comprenons que le refus de donner son consentement exprès à la communication de ces données non identifiantes et de son identité semble constituer un obstacle au don. Si ce principe est retenu, il conviendrait que le texte l'énonce clairement.

Une question nous paraît essentielle : les données non identifiantes recueillies auprès du tiers donneur auront-elles uniquement pour vocation de renseigner l'enfant devenu adulte issu du don ou pourront-elles également être utilisés par l'équipe clinico-biologique pour l'appariement et si oui, comment ?

Il n'appartient pas aux médecins d'intervenir dans la procédure de filiation, hormis pour la délivrance aux seuls patients des attestations, certificats ou autres documents prévus par un texte et nécessaires pour faire valoir leurs droits.

En ce qui concerne les dons croisés d'organes, dans le contexte d'un manque d'organes nécessaires aux greffes, il nous paraît pertinent d'élargir le nombre de donneurs dans le cadre du don croisé, y compris lorsqu'un donneur est décédé.

Le CNOM avait été consulté sur les dispositions de l'avant-projet relatives à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté ou décédée et à l'information des membres de la famille potentiellement concernés (dérogation au secret médical). Nos remarques ont été prises en compte et le projet actuel nous paraît donc satisfaisant.

Compte tenu de l'évolution rapide des connaissances en génétique, il ne paraît pas opportun de restreindre le devoir d'information aux seules anomalies génétiques pouvant être responsables d'une affection grave justifiant de mesures de prévention, y compris de conseils génétiques ou de soins. Il nous semble préférable de revenir au terme « susceptible » qui ménage la possibilité d'évolution de la science.

En ce qui concerne le sujet du traitement algorithmique de données massives, il semble que certaines recommandations de la CNIL n'aient pas été prises en compte par le projet de loi. Ses dispositions sont trop générales et incluent des obligations que le médecin pourrait ne pas être en mesure de remplir s'il n'a pas connaissance suffisante de l'algorithme utilisé. Des points sont à préciser, notamment l'interprétation du traitement algorithmique et son utilisation dans le cadre du machine learning. C'est toute la différence entre le traitement algorithmique dit « figé » de données massives et le traitement algorithmique dit « évolutif » de données massives qui au fur et à mesure va s'enrichir de données récoltées auprès des patients. Il apparaît donc nécessaire que ces informations soient données aux patients avant l'utilisation du traitement algorithmique et non au moment du compte rendu du résultat. S'agissant de l'adaptation des paramètres d'un traitement algorithmique de données massives, le champ de compétences du professionnel de santé doit être en adéquation avec l'acte pour lequel le traitement est utilisé. Compte tenu de tout ce qui précède, il serait également opportun de prévoir le renvoi à un décret d'application, au regard des imprécisions importantes qui affectent cet article.

En supprimant l'interdiction générale de créer des embryons chimériques et en limitant cette interdiction à la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces, il semble admis qu'à l'inverse, la modification d'un embryon animal par adjonction de cellules humaines ne serait pas interdite et donc implicitement autorisée. Si tel était le cas, cela devrait être très clairement énoncé et encadré.

Il semble important de prendre en considération les remarques formulées par la CNIL sur l'article relatif à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins de recherche scientifique, notamment celle concernant l'utilisation des données issues de ces recherches et l'exercice des droits des personnes concernées, en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Sur l'interruption de grossesse pour motif médical, la position du Conseil d'État selon laquelle la loi devrait maintenir l'obligation de proposer, hors les cas d'urgence, un délai de réflexion, sans nécessairement fixer de durée minimale, paraît légitime.

Enfin, si l'Ordre des médecins n'est pas opposé à un droit de prescription des conseillers en génétique, il examinera soigneusement le décret qui encadrera spécifiquement cette proposition.

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