Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

D'abord, vous méritez des félicitations, parce que ce travail est très complet, très documenté, très précis, très utile pour nous et nous incitera à suggérer quelques précisions. Je note que certains sujets peuvent relever du domaine réglementaire, plutôt que du texte de la loi lui-même.

Vous évoquez votre souci constant de lutter contre toute discrimination. Quelles propositions pourriez-vous formuler afin d'éviter deux des inégalités encore présentes dans le texte, qu'il nous faudra probablement corriger avant qu'il soit définitif. Je pense d'abord à l'inégalité entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels au regard du mode d'établissement de la filiation de leurs enfants. Je pense aussi à l'inégalité entre les enfants nés d'un don, puisque certains auront systématiquement accès à leurs origines, à savoir les enfants des couples homosexuels ou des femmes, et seuls 20% des autres y auront accès qu'au, puisque nous savons qu'aujourd'hui, environ 80 % des couples hétérosexuels ne disent pas à leurs enfants qu'ils ont bénéficié d'un don. La majorité d'entre eux n'y aura donc pas cet accès. Qu'imagineriez-vous pour supprimer ou réduire de telles inégalités, puisque cela fait partie de votre ADN ?

Une autre question avait été évoquée, lorsque vous avez été auditionnés par la mission d'information. Elle concernait les intersexes. À l'époque, vous aviez dit l'importance de suggérer aux médecins de ne pas se précipiter vers des décisions définitives, alors même que l'avis de l'enfant ne peut pas encore être entendu, notamment quand il s'agit d'un enfant en très bas âge. Je ne parle évidemment pas des situations d'urgence médicale. Vous aviez formulé un souhait, que la mission d'information avait repris dans ses propositions, mais il ne l'est pas dans le texte du gouvernement. Vous encouragez nous à l'y ajouter ?

Vous évoquez le sujet peu fréquent, mais important symboliquement, de la fécondation post mortem. Son ouverture avait également été recommandée par la mission d'information. Le projet de loi ne la reprend pas. Vous dites – comme le Comité consultatif national d'éthique et tous les autres comités qui se sont penchés dessus – qu'à partir du moment où nous ouvrons l'AMP aux femmes seules, il n'y a plus de raison d'interdire l'utilisation des embryons congelés qui avaient été l'objet d'un projet parental, lorsque le père décède. Là encore, vous encouragez-nous à poursuivre dans cette voie, qui recueille un large assentiment ?

J'aborde maintenant un sujet très sensible et je vais essayer de ne pas utiliser de terme inapproprié. Lorsque le médecin procède à l'évaluation d'une demande d'AMP, est-il en droit, voire en devoir, de récuser l'AMP lorsque la demande est trop curieuse, lorsqu'elle s'inscrit dans un contexte psychologique spécial, etc. ? Il me semble qu'accéder à une demande engage, non pas la responsabilité, mais la personne du praticien. Si, en son âme et conscience, il considère que la demande n'est pas appropriée, il pourrait demander conseil à plusieurs confrères. Si tous récusent la demande, je crois qu'effectivement, il ne faudrait pas y accéder. Qu'une femme seule puisse enfanter dans des conditions naturelles, même si toutes les chances ne sont pas réunies pour que l'éducation de l'enfant soit satisfaisante, c'est une chose à laquelle personne ne s'opposera. En revanche, que l'on utilise les services de santé pour satisfaire cette demande, c'est très problématique si le contexte est défavorable. Pour autant, nous voyons très bien qu'il ne faut pas basculer dans une utilisation excessive de la clause de conscience. La voie est assez étroite, mais à partir du moment où il accède à une demande, le praticien s'engage tout de même.

Je termine avec les donneurs d'organes. Nous avons une pénurie grave de dons d'organes dans notre pays, tant de sujets vivants que de dons d'organes de sujets décédés. C'est tellement grave qu'aujourd'hui, quand nous inscrivons un malade sur une liste d'attente, nous lui mentons, parce que nous lui disons qu'il va être greffé. Aujourd'hui, il n'a plus de chance d'être greffé. 25 000 sujets sont en attente, pour 4 000 reins par an, par exemple. Avant d'être greffé, le patient sera probablement décédé. Le projet de loi entre-ouvre la porte, en étendant les dons croisés de deux à quatre paires, mais ce n'est pas suffisant et vous le dites vous-même. Nous allons proposer des amendements, nous verrons comment ils sont reçus, afin d'établir cette chaîne de donneurs qui existe dans beaucoup d'autres pays et qui n'est pas du tout insatisfaisante. Son seul risque est que sur la durée, quelques donneurs se récusent de temps en temps, mais vous le suggérez vous-même, cela peut être compensé par une priorisation vis-à-vis de la réception d'un organe sur l'ensemble de cette chaîne ou à partir d'un donneur décédé. Quoi qu'il en soit, chaque année, nous inscrivons beaucoup plus de malades sur les listes d'attente que nous n'en greffons, et le problème deviendra bientôt totalement insoluble. Vous avez raison d'attirer notre attention là-dessus : il faut que nous allions un peu plus loin et que nous soyons moins frileux.

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