Intervention de Marie Mesnil

Réunion du lundi 2 septembre 2019 à 16h05
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Marie Mesnil, Université de Rennes 1 :

Je vous remercie de m'avoir invitée à formuler des observations générales sur le projet de loi de bioéthique. Je vais concentrer mes remarques sur les articles 1, 2 et 4 du projet de loi qui concernent les techniques d'assistance médicale à la procréation. Ces articles sont en effet, à mon sens, en mesure de faire du projet de loi de bioéthique une grande loi d'égalité qui reconnaît de nouveaux droits aux femmes en matière de reproduction, sans jamais porter atteinte à l'intérêt de l'enfant. C'est au regard de ces deux exigences, que l'on retrouve d'ailleurs dans le texte, que je vais d'abord m'intéresser à l'accès aux techniques reproductives et ensuite, dans un second temps, à l'établissement de la filiation.

Je vais donc d'abord parler de l'AMP en général, puis de l'autoconservation de gamètes. L'accès aux techniques d'AMP a été pensé, depuis les premières lois de bioéthique de 1994, comme relevant du champ thérapeutique. Cette construction a été remise en cause ces dernières années. Le projet de loi en tire d'ailleurs les conséquences en ouvrant plus largement l'accès à l'AMP à toutes les femmes, qu'elles soient en couple ou célibataire et qu'elles soient en couple hétérosexuel ou en couple lesbien. Dans le projet, il n'est donc plus question d'infertilité pathologique, qui n'est plus une condition d'accès aux techniques d'assistance médicale à la procréation. À la place, le projet de loi prévoit une évaluation médicale et psychologique à laquelle ma collègue a consacré un certain nombre de développements. Comme elle, je souscris au fait que cette condition, en l'état du projet, est trop imprécise, notamment parce qu'elle pourrait laisser craindre, en pratique, des prises en charge différenciées en fonction du statut conjugal ou de l'orientation sexuelle des personnes éligibles. Cette crainte me paraît d'autant plus justifiée lorsque l'on sait que certaines sociétés savantes ont proposé d'inscrire très explicitement dans la loi une priorité d'accès à l'AMP pour les couples hétérosexuels. Si l'on veut éviter des départs à l'étranger qui fragiliseraient la filiation et posent des questions éthiques quant aux conditions de recours au don, il faut que les droits ouverts en France soient assortis de garanties. En ce sens, il me semble plus qu'opportun d'ajouter une disposition générale dans le texte qui interdirait toute distinction dans les modalités et dans les délais de prise en charge qui serait fondée sur le statut conjugal ou l'orientation sexuelle des personnes. Nous pourrions également envisager d'aller plus loin en inscrivant dans le dossier médical la motivation de la décision de refus ou de report de prise en charge qui serait prise par l'équipe médicale, puisque quand bien même on supprimerait cette évaluation médicale et psychologique, il y aura toujours une appréciation par l'équipe médicale de la motivation de la demande et une possibilité de reporter, voire de refuser la prise en charge.

Par ailleurs, le projet de loi ouvre l'accès à l'autoconservation de gamètes. Toutefois, il prévoit d'enfermer cette possibilité dans des délais très courts : pour les femmes, il s'agirait de conserver leurs ovocytes entre 32 et 37 ans, pour un usage avant leur 43e anniversaire. La fenêtre d'âge retenue pour les femmes correspond en fait à un seul scénario : la situation un peu caricaturale d'une femme plutôt en bonne santé qui souhaite privilégier sa carrière professionnelle ou qui n'a pas encore rencontré la bonne personne pour fonder une famille. Mais cette situation n'est pas la seule. Il y a quantité d'autres personnes qui pourraient opportunément conserver leurs gamètes avant l'âge de 32 ans : nous pouvons penser aux personnes intersexes ou encore aux personnes trans, y compris très jeunes, lorsqu'elles subissent des opérations ou des traitements qui risquent d'altérer leur fertilité, ou encore aux femmes qui souffrent d'endométriose sans que la maladie soit assez sévère pour justifier une autoconservation pour motif médical.

Quant à la limite de 43 ans pour utiliser les ovocytes, elle correspond à la borne supérieure actuellement fixée par l'assurance maladie pour rembourser les actes d'AMP. Cette limite se justifie principalement par le fait que les techniques d'AMP sont d'une plus faible efficacité passé cet âge. Néanmoins, le recours à un don d'ovocytes ou l'usage de ses propres ovocytes cryoconservés devrait permettre de retarder de quelques années la réalisation d'un projet parental. Il convient donc d'en tirer les conséquences.

Le projet de loi reconnaît donc de nouvelles possibilités aux femmes en matière de reproduction mais il est bien silencieux sur la situation des personnes trans. Des associations et d'autres juristes seront certainement amenés à soulever devant vous ces enjeux et c'est pourquoi je vais centrer maintenant mon intervention sur les conséquences de l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes en matière de filiation.

Le choix d'un mode d'établissement de la filiation qui serait spécifique aux couples lesbiens est, à mon sens, problématique et d'autant plus incompréhensible que le dispositif actuel – qui a été mis en place par la loi de bioéthique de 1994 – en cas de recours à un don pour des couples hétérosexuels a fait ses preuves et permettrait d'établir et de sécuriser très simplement la filiation à l'égard de la seconde mère. Je ne vais pas revenir sur le fait que la déclaration anticipée de volonté (DAV) est une stigmatisation des enfants fondée sur l'orientation sexuelle de leurs parents, une marginalisation, par le droit, des familles homoparentales et des personnes lesbiennes, gays, bi en général. Je pense qu'un certain nombre d'associations a déjà souligné qu'il est important qu'existe une égalité des droits, mais également une égalité en droit. Il en va d'ailleurs de l'intérêt des enfants des couples lesbiens.

Par ailleurs, la DAV pose des difficultés juridiques sérieuses alors qu'au contraire, le dispositif de droit commun a fait ses preuves et pourrait être facilement étendu aux couples de femmes. En effet, cela permettrait d'appliquer les dispositions du titre VII sur la filiation, c'est-à-dire d'un côté, de maintenir l'accouchement comme quasi fait générateur de la filiation pour la femme qui accouche et, de l'autre, d'établir avant même la naissance, la filiation de la seconde mère, du fait de son engagement à recourir à un don de sperme.

De manière tout à fait surprenante, la déclaration anticipée de volonté conduirait à établir pour la première fois en droit français une filiation maternelle à l'égard de la femme qui accouche sans tenir compte de cet élément comme fait générateur de la filiation – en dehors de la procédure d'adoption. En effet, la DAV établit simultanément et selon les mêmes modalités la filiation de l'enfant à l'égard des deux femmes, la mère qui accouche et l'autre mère. Cette indivisibilité des filiations maternelles pose notamment difficulté par rapport au droit des femmes d'accoucher dans le secret ; une disposition prévue à l'article 326 du code civil et qui ne s'appliquerait donc pas pour les femmes en couple lesbien qui auraient recours à un don de sperme. Il s'agirait d'une situation inédite et d'un recul particulièrement malheureux des droits des femmes, mais également de la protection de la santé des enfants. Bien entendu, nous ne pouvons pas souhaiter qu'une femme en couple lesbien ayant recours à un don de sperme souhaite accoucher dans le secret, mais si c'est le cas, il faut lui laisser cette possibilité et la DAV ne le permet pas. La DAV est en revanche présentée comme consacrant l'engagement des femmes en matière de filiation et en particulier l'engagement de la seconde mère. Mais il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la DAV parce que le droit commun de la filiation permet déjà d'établir un lien de filiation à l'égard d'un second parent, en le fondant uniquement sur la volonté. C'est d'ailleurs le contenu exact du dispositif qui a été mis en place pour les couples hétérosexuels par les lois de bioéthique en 1994 et qui a fait ses preuve. On pourrait facilement l'étendre aux couples de femmes : celles-ci consentiraient simplement dans les mêmes conditions, devant un notaire, à recourir à une AMP avec un don de sperme et ce consentement au don pourrait ensuite être présenté à l'officier d'état civil pour que la femme qui n'a pas accouché établisse sa filiation, soit par présomption de comaternité, soit par reconnaissance, si elle n'est pas mariée avec la mère qui a établi sa filiation en mentionnant son nom dans l'acte de naissance. Cela pourrait se faire avec de très faibles modifications du titre VII du code civil, consacré à la filiation. Il conviendrait uniquement d'ouvrir le bénéfice des dispositions relatives à la présomption de paternité et de reconnaissance aux cas de recours à une AMP avec tiers donneur par des couples de femmes. En dehors de cette procédure d'AMP avec tiers donneur, il ne pourrait pas être établi de filiation à l'égard d'une seconde femme. Seule la production à l'officier d'état civil du consentement au don, réalisé devant le notaire, ouvrirait le bénéfice des règles de droit commun. En définitive, ce n'est pas l'intégralité du droit commun qui serait ouvert aux couples de femmes, mais seulement le dispositif prévu en cas de recours à un don, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels, et sans modifier le droit de la filiation qui en dehors de ce cas, comprend toujours deux branches : l'une maternelle et l'autre paternelle.

Pour conclure, je voudrais saluer la reconduction de la clause de révision des lois de bioéthique dans sept ans, qui est prévue à l'article 32 du projet de loi. C'est une disposition traditionnelle en matière de bioéthique, qui témoigne du fait que, dans ces domaines, la prudence est nécessaire et le doute est possible. Mais qu'impose-t-elle présentement ? Elle impose de ne pas laisser naître entre 2020 et 2027 des enfants conçus par don de sperme au sein d'un couple lesbien et dont l'état civil porterait, à vie, la trace d'un droit spécial et dérogatoire, puisque dans sept ans, il ne sera pas possible de revenir sur la filiation de ces enfants. Il est à mon sens de la responsabilité de l'État, à partir du moment où l'accès à l'AMP est ouvert à toutes, d'accueillir ces enfants, comme tous les autres enfants de la République.

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