Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du lundi 2 septembre 2019 à 16h05
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Merci beaucoup de vos éclaircissements. Mme Dubost pourra mieux argumenter sur l'aspect juridique. J'ai besoin de quelques éclaircissements.

D'abord, bien évidemment, vous avez raison de dire qu'il y a des aspects à modifier dans ce projet, qui va apporter beaucoup de bienfaits et corriger beaucoup d'inégalités et de défaillances dans notre société, mais qui n'est pas encore tout à fait arrivé à maturité. Il est justement important pour nous de voir quelles sont ces quelques corrections à apporter.

Quand, par exemple, vous évoquez les enquêtes psychologiques, cela rappelle un peu ce qui était imposé sur les IVG, jusqu'au moment où l'on a enfin compris que les femmes étaient capables de réfléchir, sans qu'on écrive dans la loi qu'elles devaient le faire. C'était assez humiliant que la loi impose un temps de réflexion, de rencontrer des associations, de subir des évaluations psychologiques, etc. Comme si a priori, on estimait que les femmes ne le faisaient pas spontanément. Nous savons donc bien qu'il ne faut pas multiplier les obstacles. Or, comme vous le savez probablement, il existe déjà dans la loi un dispositif qui amène à solliciter cette évaluation-là et il n'est donc pas besoin de le dire une deuxième fois. Cette redondance laisse penser que ces couples ne sont pas aptes à prendre des décisions.

Pour autant, il faut dire d'emblée que toutes les PMA sollicitées seront acceptées. En Belgique, on me dit que près de 30 % des demandes faites par des femmes seules sont récusées, pas seulement pour des raisons psychiatriques, mais aussi parce que parmi les nombreuses femmes étrangères qui viennent, certaines sont considérées comme ne justifiant pas de l'aide des services belges. Le praticien qui accepte une AMP engage évidemment en même temps, sinon sa responsabilité, tout au moins sa compétence comme justifiant un acte médical. C'est un point important.

Le deuxième point est cette stigmatisation qu'introduirait un dispositif qui prévoirait deux systèmes différents selon que le couple est homo ou hétérosexuel. Nous ne pouvons pas encourager cela. Je sais bien que le Conseil d'État dit que ce n'est pas une authentique inégalité et insiste sur cette solution mais curieusement, il dit en même temps vouloir privilégier l'intérêt de l'enfant. Or, de fait, c'est une mesure qui vise à maintenir un secret absolu pour l'enfant issu du don dans un couple hétérosexuel. C'est la raison pour laquelle il veut un système pour le couple hétérosexuel et un autre système pour le couple homosexuel. On peut débattre de la solution à adopter mais pour nous comme pour la plupart des associations, le plus important est qu'il n'y ait pas de distinction entre les deux modalités.

Par ailleurs, je vous rejoins quand vous dites qu'on ne peut pas non plus entériner le fait de ne pas lever l'interdiction de la PMA post mortem. On ne peut pas interdire à une femme qui a perdu son mari alors qu'elle avait un projet parental avec lui et que des embryons sont congelés, de poursuivre ce projet, sachant qu'elle aurait le droit, en tant que femme seule, veuve, de recourir à une procréation avec des spermatozoïdes venant d'ailleurs. De plus, les embryons qui sont dans le congélateur pourront être implantés dans l'utérus d'une femme d'un autre couple, et à 18 ans, l'enfant pourra venir voir la première femme en lui disant : « si je suis né, c'est grâce aux embryons que tu avais faits avec ton défunt mari ; tu n'avais pas le droit de le mettre dans ton ventre, mais j'avais le droit de naître après être passé dans le ventre de quelqu'un d'autre. » Ce serait surréaliste, donc il faut corriger cela.

Je suis aussi tout à fait d'accord pour que – ne serait-ce que pour des raisons pratiques et de non-discrimination –, les PMA ne se déroulent pas exclusivement dans des établissements publics – tout en restant soumises à un contrôle strict. Les conditions de supervision des établissements privés sont aussi draconiennes ; l'Agence de la biomédecine fait des enquêtes avant toute autorisation. Nous savons qu'avec les centres aujourd'hui habilités en France, dans les hôpitaux publics, nous ne pourrons pas répondre à la demande, compte tenu de son augmentation prévisible, et nous serions demain non seulement en pénurie de gamètes, mais aussi en pénurie de lieux d'accueil des femmes sollicitant une PMA.

J'en viens aux répercussions sur la filiation de l'ouverture de l'AMP. On attribuera aussi le beau nom de mère à la femme du couple homosexuel qui n'aura pas enfanté elle-même ce nouveau-né, et c'est très bien ainsi, mais cela veut dire que l'on abandonne l'idée que la mère est la femme qui accouche. Je vous demande si vous êtes d'accord avec l'idée que l'abandon de cette idée devrait nous permettre d'aller jusqu'à reconnaître la mère d'intention des enfants qui ont été portés par GPA, dans un autre pays. En effet, actuellement, quand un couple fait une GPA à l'étranger, le père peut être reconnu au retour en France, mais pas la mère parce qu'elle n'a pas accouché. Cet argument ne tient plus à partir du moment où on ne définit plus de façon restrictive la mère comme la femme qui accouche. C'est déjà le cas d'ailleurs avec les adoptions ou les femmes qui élèvent des enfants nés sous X.

J'avais encore une question sur le terme « femme non mariée » : j'ai peur qu'il recouvre les femmes pacsées et les femmes en couple – avec une femme ou un homme – sans organisation administrative, qui ne sont pas des femmes seules. Pourquoi ne dit-on pas « femme seule » ? Cela serait plus clair que la périphrase « femme non mariée ».

Mon dernier point concerne les intersexes et les trans. Il faut que notre texte prévoit la possibilité pour eux de procréer. C'est une demande importante et insistante de leur part. Il n'y a pas de raison de les stigmatiser.

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