Je vous remercie de vos témoignages, qui nous invitent à la réflexion.
Sur les articles 1er et 2, suivis par M. Jean-Louis Touraine, j'ai tout particulièrement noté vos propos sur l'évaluation médicale et psychologique. Nous avons aussi entendu des témoignages du monde médical et d'associations qui nous disaient : « Mais quelle sera la responsabilité pour le médecin ? N'êtes-vous pas en train de leur faire porter une responsabilité qui est peut-être du domaine du législateur ? Que doit induire l'évaluation ? Êtes-vous en train de nous donner un pouvoir de refus ? Dans ce cas-là, inscrivez-le noir sur blanc dans le texte, qu'au moins les choses soient claires. » Ces questions soulevées par toutes les parties intéressées au projet de loi sont plus que pertinentes.
J'ai également noté le distinguo entre les femmes seules et les « femmes non mariées », et les conséquences que cela peut entraîner. Qui sont les personnes réellement concernées ?
Je voulais vous demander si vous faisiez un lien avec la pertinence du maintien de l'article 6-1, qui a été introduit récemment dans le code civil, notamment pour verrouiller l'accès à la PMA pour les couples de femmes ? À partir du moment où on ouvre cet accès, est-il pertinent de maintenir cet article ? Faut-il le modifier ?
S'agissant des articles 3 et 4, dont je suis rapporteure, je vous remercie d'avoir souligné l'importance de déconnecter la question de la filiation et la question de l'origine. Or, justement, le mécanisme de la déclaration anticipée de volonté pose la question des origines, car avec la mention de la DAV à l'état civil, les enfants seront amenés à découvrir leur mode de conception. De plus, cela crée un fort risque de stigmatisation sociale et cela nécessite de créer un titre nouveau dans le code civil : dans le droit de la filiation, on aurait deux procréations distinctes, l'une dite naturelle – même si l'on sait bien que souvent elle ne l'est pas, mais elle y est au moins assimilée – et l'autre qui serait strictement volontaire. Quelles perspectives à 20 ou 50 ans cela ouvre-t-il au regard de l'évolution des mœurs, de la société et des techniques ? Quel type de relations cela peut-il créer entre ces enfants et ces familles ? Effectivement, cela interroge. Mais j'entends aussi l'intérêt du choix fait par le Conseil d'État, suivi par le gouvernement, de retenir la déclaration anticipée de volonté (DAV) pour un couple de femmes : j'entends les avantages sur la sécurisation de la filiation des deux femmes dans le cadre du projet parental.
Je m'interroge également en droit sur le fait de dire qu'avec une DAV, la filiation est établie ab initio dès le moment où elle est enregistrée. En effet, la filiation est un lien de droit entre deux personnes, deux sujets de droit, donc comment est-il possible qu'une filiation soit établie sur un sujet qui n'est pas encore né ? Je veux bien entendre que c'est un mode d'établissement d'une filiation ab initio, mais la filiation n'existe qu'à partir du moment où l'enfant est né. N'est-on pas finalement dans le système de la reconnaissance prénatale ? Quand on fait une reconnaissance prénatale dans un couple hétérosexuel non marié, on vient prévoir le fait qu'à la naissance de l'enfant la filiation sera établie, mais pour autant, la filiation n'existe pas par avance. Je sais qu'il existe l'adage infans conceptus, qui permet de faire remonter les effets de la filiation avant la naissance de l'enfant, mais cela n'intervient que dans des cas très exceptionnels, notamment pour des questions successorales. C'est par exemple l'hypothèse dans laquelle un couple hétérosexuel non marié entame une procédure d'AMP et malheureusement l'homme apprend une pathologie grave. Il risque de mourir pendant la grossesse et il fait une reconnaissance prénatale pour que la filiation puisse être établie, quand bien même il serait décédé, et que l'on puisse faire remonter les effets de la filiation avant la naissance de l'enfant, pour que l'enfant puisse hériter de lui, notamment s'il y a des frères et sœurs. Je crois que les apports de la DAV réservée aux couples de femmes dans ce titre VII bis ne sont finalement pas très différents, voire pas du tout. Voyez-vous de réelles différences avec les mécanismes de filiation de l'actuel titre VII – évidemment, c'est le cas pour la présomption de paternité, mais le titre VII comporte aussi une section relative à la PMA et la reconnaissance dans le cadre d'une PMA hétérosexuelle non mariée ?
Pouvez-vous développer vos vues sur l'accès aux origines ? Le droit à l'identité est-il perçu de la même façon en France et dans les autres pays européens ? Qu'en dit la CEDH ? Est-ce que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s'est déjà prononcée dessus ou pas ? Y a-t-il des conflits de juridictions nationales et européennes ?
Je salue l'action du gouvernement sur ce point. On disait tout à l'heure qu'on parlait beaucoup des points problématiques et peu des avancées, mais en l'espèce, il y a de grandes avancées parce que l'on part de très loin, y compris en comparant avec de nombreuses législations européennes qui datent de plusieurs années. Quelles conséquences voyez-vous dans ce passage de la culture du secret à la culture du droit à l'identité – je n'irai pas jusqu'à dire « de la transparence », mais du droit à l'identité ? En quoi le dispositif prévu par l'article 3 du projet de loi est-il pertinent ? Comment va-t-il s'aménager, notamment avec des mineurs qui auraient la majorité sexuelle et qui voudraient avoir un échange avec un médecin, par exemple en matière contraceptive ou autre ? Comment le médecin pourrait-il être informé des antécédents médicaux d'un tiers donneur pour pouvoir ajuster ses prescriptions ?