Je souhaiterais ajouter un point à ce qu'ont dit mes collègues sur la question de l'accès aux origines. Ils ont tous deux parlé de l'importance de dissocier le droit des enfants conçus par don à connaître leurs origines et la question de l'état civil et donc de la production du sujet par le système juridique. Cette dissociation est extrêmement importante et on peut y réfléchir par analogie.
C'est une bonne chose que le législateur se pose aujourd'hui la question de savoir quoi faire de ce droit à l'identité. Toute une génération d'enfants issus du don a objectivement été placée dans une situation problématique au cours des récentes décennies, étant confrontée à une absence de procédure, des fins de non-recevoir, une ignorance, voire parfois une instrumentalisation de leurs demandes. Nous en sommes conscients. Pour autant, le raisonnement par analogie avec les familles ou les procréations sans recours au don permet de prendre la mesure des différents équilibres. La limite du droit à la connaissance de ses origines peut raisonnablement être fixée pour les enfants issus du don là où elle est fixée pour les enfants qui n'en sont pas issus, c'est-à-dire, pour rebondir sur l'expression utilisée en common law, l'histoire que veulent bien raconter les parents. De nombreuses filiations établies dans les couples hétérosexuels sont des « fausses filiations » et il ne s'agit pas de les remettre en question.
Le droit à la connaissance des origines surgit de la question des enfants nés du don, mais il faut garder à l'esprit la nécessaire dissociation entre le droit – les questions d'état civil, de filiation, etc. – et la réponse qu'il faut apporter à une demande légitime de ces enfants, qui rencontre une limite humaine : la narration qui construit aussi les familles et les filiations.
Pour revenir à ma remarque précédente, l'anonymat et la gratuité sont de grands principes de la législation bioéthique à la française. Cela doit s'analyser dans le détail : la gratuité ne signifie pas l'absence de circulation ou de tarification ; les éléments et produits du corps humain circulent à des tarifs qui sont parfois fixés par le ministre de la Santé. En revanche, l'une des caractéristiques de la législation française est la volonté de maintenir la circulation des éléments et produits du corps humain en dehors du marché, d'où, dans cette philosophie, dans cette économie générale, un rôle très particulier joué par le service public, la mise en œuvre d'un contrôle public, la prise en charge publique par des mécanismes de solidarité nationale, etc.
J'ai mentionné l'Agence de la biomédecine de manière incidente en relevant que le projet est peu précis et que si on ouvrait les opérations d'AMP à ces opérateurs nouvellement désignés que sont les établissements à but non lucratif, il conviendrait peut-être a minima d'indiquer dans quelles conditions ils peuvent être homologués ou autorisés. Le plus important, c'est l'irruption de cette catégorie qui, à ma connaissance, ne figure pas dans la législation actuelle et qui n'est assortie d'aucune définition précise de ce qu'on entend par « établissements à but non lucratif » ni des critères d'homologation ou d'autorisation.