J'ai abordé la thématique très générale des articles 3 et 4 et pas uniquement l'hypothèse de l'accès aux origines, et somme toute les éléments sont liés. L'on peut difficilement détacher la question de l'accès aux origines de celle de l'AMP, voire de la gestation pour autrui (GPA), et d'autres problématiques connexes, notamment l'accouchement sous X.
Le juriste est ennuyé par une situation qui présente pour lui une ambiguïté et un paradoxe : la confrontation de principes de droit d'égale valeur, mais contradictoires. Une opposition classique existe entre, d'une part, la vérité juridique et d'autre part la vérité scientifique. Il semble paradoxal de les opposer, car c'est in fine la recherche de la vérité qui compte ici. Or la vérité scientifique n'est pas forcément celle que privilégie classiquement le droit. Le droit a toujours voulu mettre en avant une vérité sociologique, une vérité humaine, une vérité d'équité, une vérité sociale, et il se désintéresse en fait de la vérité de la science.
En matière de famille, par exemple, on a toujours fait prévaloir la présomption pater is est, c'est-à-dire « le père sera le mari » de la mère. On a mis en place un établissement social de la filiation, par ce que l'on appelle la « possession d'état », au détriment de la vérité scientifique.
Aujourd'hui, la science écrase par sa présence la vérité juridique. Nous essayons parfois de la limiter sur notre sol français, mais elle existe à l'étranger. À ce jour, près de trois millions de personnes ont recours à des tests génétiques, et ce n'est qu'un début. Ces tests étaient inabordables, ils deviennent extrêmement accessibles. Même si le droit n'a jamais voulu mettre en avant la vérité scientifique, il est confronté à cette réalité. Les journaux en font régulièrement état. Que faire ? Devons-nous rester accrochés à nos vieux principes de droit romain du pater is est, des présomptions ? Le droit est capable d'évoluer. Sinon, nous en serions toujours à plonger les gens dans la Seine pour savoir s'ils ont juridiquement raison ou tort. On les ferait battre sur le parvis de Notre-Dame pour savoir si Dieu est de leur côté ou non…
En matière de preuves scientifiques, il existe une réalité, qui est admise. Faut-il l'admettre en matière de parentalité, de famille et de vie privée ? J'évoquais une question de paradoxe. C'est l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que l'on peut résumer par : « La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres. » L'anonymat est un principe fondamental. C'est un principe reconnu dans beaucoup de pays de droit. C'est un avatar de la notion de la dignité de la personne humaine. Il est rattaché au secret professionnel. Il est considéré comme un principe absolu qui ne connaît d'exception que la nécessité thérapeutique. Le Conseil d'État le rappelle : il est rattaché à la vie privée, tant celle du donneur que celle des ayants droit. Il l'a rappelé en 2015, puis le 28 décembre 2017. C'est un principe essentiel pour lui. Faut-il le lever ? D'autres pays ont accepté cette idée : l'Autriche, la Suisse, la Grande-Bretagne.
Nous évoquerons ici un autre élément : la position du droit sur l'accès aux origines, mais également les principes attachés à cette notion. Nous allons mettre en avant des éléments tels que la position de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), et en particulier l'article 8, qui prône le droit à une vie privée et familiale normale. Deux principes d'égale valeur s'opposent donc ici. En un sens, il vous appartient de choisir celui que vous souhaitez mettre en avant. La CEDH est un peu notre censeur. Nous savons que la Cour sanctionnera le non-respect par notre droit de cette convention à laquelle nous avons adhéré et à laquelle nous nous tenons.
La CEDH a une position assez ambiguë, qu'elle a posée dans l'affaire Odièvre c. France en 2003 et qu'elle a rappelée en 2012. Elle détache de la notion d'anonymat deux principes. Elle écarte l'application du droit à la vie familiale pour valider la levée du secret. Dans l'hypothèse d'un enfant qui serait né d'une AMP avec tiers donneur, elle considère ainsi que la famille est constituée par les parents d'intention, même si seul l'un d'entre eux est biologique ou même si les deux ne le sont pas. Par conséquent, le requérant ou la requérante qui voudrait demander l'accès à ses origines ne pourra pas se prévaloir du droit à la vie familiale, en ce que sa famille est constituée avec les parents d'intention, pas forcément biologiques.
Mais le paradoxe réapparaît, puisque, si elle écarte l'application du principe du droit à une vie familiale prévu par l'article 8, la Cour reconnaît en revanche que le droit à l'accès aux origines peut se déduire du droit à la vie privée prévu par ce même article 8. Dans l'intimité de la personne, il est ainsi logique et essentiel que celle-ci puisse avoir accès à ses origines.
Je ne vais pas entrer dans l'analyse ou la critique de ces décisions. Il me semble que l'argument fondé sur le rejet de l'accès aux origines au motif qu'il n'entre pas dans le champ de la vie familiale est un peu étroit. À mon sens, la famille n'est pas uniquement constituée de la première génération, mais peut remonter aux générations antérieures. Quand on évoque l'idée que ce secret peut être levé pour motif thérapeutique, cela montre qu'il peut y avoir des raisons essentielles – telles que la santé – qui justifieraient qu'on le lève.
J'ai évoqué le cadre général, des pistes, des questionnements et je pense que nous en aurons ensemble.