Intervention de Alexandra Leclère

Réunion du lundi 2 septembre 2019 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Alexandra Leclère, docteure en droit privé, élève avocate à l'école régionale des avocats du Grand-Est (ERAGE) :

Les dispositions de l'article 3 du projet de loi ne se heurtent en aucun cas aux dispositions constitutionnelles ou conventionnelles. La CEDH juge que le droit à une vie privée et familiale, garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, comprend notamment la faculté d'établir les détails de son identité d'être humain, ce qui inclut le droit à connaître ses origines. Plus précisément, les dispositions de l'article 3 font incontestablement référence au principe absolu de l'anonymat du donneur, qui prévaut depuis les premières lois bioéthiques de 1994.

L'élargissement de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ne peut être envisagé sans que se pose la question de la place du donneur de gamètes. La levée de son anonymat s'accompagne toujours en effet d'une double exigence : sécuriser la filiation vis‑à‑vis des parents d'intention et protéger le donneur contre toute action en vue de lui faire endosser la paternité de l'enfant. Toute la difficulté consiste à trouver un juste équilibre entre le respect du droit d'accès aux origines pour les enfants nés d'un don et le respect du droit à l'anonymat du tiers donneur.

L'article 3 pose l'arrêt de l'anonymat du donneur en des termes nouveaux. Il s'oriente toujours vers le respect du principe d'anonymat du don, par l'article 16-8 du code civil, mais ce principe demeure garanti entre donneur et receveur au moment du don. Seul l'enfant est titulaire du droit d'accéder à ses origines et susceptible de l'exercer s'il le souhaite, à sa majorité. La question de l'accès aux origines et de ses modalités implique également de parvenir à un juste équilibre entre :

– le droit de l'enfant au respect de sa vie privée, lequel pourrait impliquer le fait d'être en mesure d'accéder à certaines informations sur le donneur ;

– le droit au respect de la vie privée et familiale du donneur et de la famille de l'enfant issu du don ;

– le maintien d'une quantité suffisante de dons de gamètes.

De surcroît, l'article 3 du projet de loi veille en un sens à maintenir l'impossibilité de tout lien de filiation entre le donneur et l'enfant. Le tiers géniteur est ainsi inscrit dans un statut non filiatif. De même, cet article, qui ouvre l'accès à l'identité du donneur à la majorité de l'enfant, repose sur un consentement irrévocable de nature à sécuriser l'enfant, qui saura qu'à sa majorité il pourra, s'il le souhaite, connaître l'identité du donneur.

En revanche, ce même caractère irrévocable du consentement requis au moment du don peut décourager les donneurs ou avoir un impact difficile à anticiper sur les dons de gamètes. En Suède, en Australie, en Finlande et au Royaume-Uni, l'ouverture d'un tel droit a conduit à une baisse ponctuelle des dons. Une augmentation de ceux-ci a eu lieu quelques mois ou années plus tard ; elle est estimée à 6 % pour la Suède et 100 % pour le Royaume-Uni, mais un risque demeure.

L'article 3 du projet de loi, qui subordonne l'accès à l'identité du donneur à un accord de celui-ci – avant même qu'il ne soit procédé au don – permet toutefois au donneur d'exprimer un consentement libre et éclairé sur les conséquences futures de ce don. Il préserve donc son droit au respect de la vie privée et familiale. En revanche, une telle solution conduit à soumettre l'enfant à une inégalité. Ainsi, certains enfants issus de don auront accès à l'identité de leur donneur, d'autres non, alors même que les problèmes d'identité souvent rencontrés au cours de l'adolescence peuvent rendre cette quête nécessaire.

De nombreux pays – comme la Suisse, l'Autriche, l'Australie ou encore la Norvège – ont réformé leur droit pour permettre aux enfants conçus par don d'accéder à leurs origines, et je pense que la France doit rejoindre ces pays qui ont su accompagner le changement social et donner la priorité au droit de l'enfant.

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