Intervention de Emmanuel Terrier

Réunion du lundi 2 septembre 2019 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Emmanuel Terrier, maître de conférences HDR, directeur du master I management stratégique des organisations sanitaires (Moma) et codirecteur du DU droit et santé, faculté de droit à l'université de Montpellier :

Je rejoins totalement ce qu'a dit Laurence Brunet sur le fait que le retour au droit commun – dans la mesure du possible – reste la solution la plus juste, la plus équitable, celle qui évite de morceler le droit, de rajouter une sédimentation à des textes qui sont déjà complexes. Rien ne vaut les bonnes vieilles règles simples applicables à tous. Nous vivons dans un monde où le droit est confus, difficile à comprendre, à expliquer et à mettre en œuvre. Si l'on peut appliquer à des situations nouvelles, en ajoutant des conditions (l'article 311-19, l'article 311-20), les règles qui président à l'établissement de la filiation en précisant dans quel cas ce ne sera pas possible, on garde le droit originel.

Vous nous avez posé une question très complexe, pour ne pas dire insoluble, avec cette notion de curseur. Il est vrai que mes propos parlant d'ambiguïté étaient eux-mêmes empreints d'ambiguïté. On évoque en effet le droit à la vie familiale puis on admet que ce n'est pas suffisant pour lever l'anonymat alors que le droit à la vie privée serait de nature à permettre cette levée de l'anonymat. Or, le même texte (l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme) prône à la fois le respect de la vie privée et de la vie familiale. Il s'agit de situations complexes.

Où placer le curseur ? Les deux droits sont de même valeur, c'est le même texte. La Cour va donc faire valoir le principe de subsidiarité, en disant qu'il appartient à chaque État de décider s'il faut faire prévaloir le droit au respect de la vie privée ou, a contrario, mettre en avant le droit à la vie familiale. Je pense que nous disposons d'une certaine marge de manœuvre sur ce point.

Quant à savoir si l'enfant peut aller questionner la commission, c'est in fine tout l'enjeu de vos interrogations. Le système du double consentement ne me satisfait pas. J'aurais également tendance à m'accrocher aux vieux principes latins et à dire Electa una via, non datur recursus ad alteram : « Quand on a décidé une fois, on ne revient pas dessus. » Une question doit peut-être être retravaillée, relative à l'article L. 2143-2 à venir, concernant la faculté qu'a l'enfant d'accéder à des données non identifiables ou identifiables. À ce propos, je trouve que la question de la volonté du tiers donneur n'est pas suffisamment mise en avant. Ne faudrait-il pas mettre l'accent sur le fait que le tiers donneur va décider de permettre à l'enfant d'accéder aux données identifiantes ? Il faut bien mettre l'accent sur le fait que le tiers donneur consent à cet accès et qu'il ne peut revenir dessus.

Il nous a été demandé si le tiers donneur pourrait ultérieurement revenir sur sa décision : je réponds « non ». Je n'y suis vraiment pas favorable. En droit commun, on est sanctionné quand, après avoir donné son consentement au contrat – même s'il ne s'agit pas ici d'un contrat –, on retire sa volonté. On imagine le caractère déceptif que cela peut avoir pour l'enfant quand il sait qu'il y a potentiellement accès et qu'ultérieurement l'avis de la commission va être conditionné à une réitération de l'accord du donneur.

Que faire au décès du tiers donneur ? Je crois que cette question ne doit pas être débattue, car elle crée une insécurité juridique qui me semble pernicieuse, quand « on ne sait pas, on ne fait pas ».

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