Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du lundi 2 septembre 2019 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Vous êtes bien sévère avec le Conseil d'État en écrivant : « Pour reprendre la formule à la Ponce Pilate du Conseil d'État, si rien en droit n'impose au législateur d'ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules la possibilité d'accéder aux techniques d'AMP, rien n'impose de maintenir les conditions actuelles d'accès à l'AMP. » L'évolution est en train de se faire, et l'ensemble des femmes, qu'elles soient en couple ou isolées, auront au terme de cette loi accès à l'AMP, comme c'est déjà le cas dans beaucoup de pays. Et depuis tant d'années, on connaît l'évolution jusqu'à l'âge adulte des enfants nés d'AMP chez les couples de femmes comme chez les femmes seules dans ces pays. Nous voyons que tous vont remarquablement bien, sans aucune distinction quelle que soit la configuration de la famille. Nous ne sommes donc pas inquiets vis-à-vis de cette évolution, et nous le disons sans ambiguïté : cette évolution nous satisfait.

Toutefois, les solutions différentes que préconise le Conseil d'État pour les couples hétérosexuels, d'une part, et les couples homosexuels d'autre part nous embarrassent. Une loi qui est chargée de donner des droits, mais aussi une image identique aux uns et aux autres, serait quelque peu ternie par le fait que les conditions de filiation seraient différentes chez les uns et chez les autres. C'est un peu comme si nous avions imaginé à l'époque ouvrir le mariage homosexuel, mais avec une formulation très différente du mariage hétérosexuel. C'est d'ailleurs ce que certains nous proposaient : « Donnez-leur leurs droits, mais surtout pas le mot “mariage.” » Tout le reste pouvait être identique, mais il ne fallait pas employer le mot, puisque symboliquement il ne pouvait être qu'associé à l'hétérosexualité. Je ne voudrais pas que nous nous fassions enfermer dans le même dilemme.

Nous sommes également embarrassés par la déclaration sur la primauté des droits de l'enfant. Nous l'approuvons pleinement, mais elle est suivie dans la proposition du Conseil d'État par le choix de privilégier le désir de secret, qui concerne aujourd'hui 80 % des familles dans les couples hétérosexuels, contre l'intérêt de l'enfant qui est né du don. Si l'on veut que l'enfant puisse un jour accéder aux origines, son intérêt est d'être informé. Il ne risque pas d'accéder à quelque chose dont il n'est pas informé. Nous reconnaissons le travail approfondi qu'a réalisé le Conseil d'État, comme le Comité national d'éthique, mais il reste quelques contradictions, que nous voulons lever ensemble.

Monsieur Terrier, vous dites que la vérité scientifique écrase aujourd'hui la vérité juridique. J'ajoute que, sous l'influence des sciences humaines, et non plus des sciences dures, le désir de transparence progresse. La transparence dans le monde du XXIe siècle est indubitablement plus grande que celle du siècle précédent. Simultanément, on observe le recul de l'encouragement aux secrets de famille, souvent maintenant perçus comme délétères. Pendant de nombreuses années, les CECOS, qui avaient calqué le don de gamètes sur le don de sang, encourageaient au secret. C'est très bien qu'ils aient évolué depuis. Cette évolution dans les sciences humaines a été bénéfique à tous.

J'adhère également à l'objectif de ne pas créer de confusion entre les aspects juridiques de la procréation, de la filiation et de l'accès aux origines.

Vous penchez pour que le droit commun soit appliqué à tous. Quand nous en avons discuté avec la ministre de la Justice, elle nous a indiqué que, si l'on appliquait aux couples homosexuels la formulation du droit commun appliqué aux couples hétérosexuels, cela ne sécuriserait pas suffisamment la reconnaissance parentale, car cela pourrait ouvrir la voie à des contestations juridiques de la part d'autres possibles parents, comme un homme qui aurait eu des relations sexuelles avec la femme. Je vous laisse compléter, argumenter ou critiquer cette assertion, puisque je ne suis pas juriste. Mais j'écoute les différents juristes et il est intéressant de voir que comme les scientifiques qui savent se disputer, les juristes font largement aussi bien avec leurs propositions disparates.

En ce qui concerne la déclaration anticipée de volonté (DAV), je corrige un point que vous avez dit : il ne s'agit pas de forcer qui que ce soit. Une inscription – éventuellement formulée en termes sibyllins – sur l'acte de naissance ne va pas induire une révélation, a fortiori à un enfant, puisque cette mention est inaccessible avant l'âge de 18 ans.

En revanche, je m'élève en faux vis-à-vis d'une inscription sur le dossier médical partagé (DMP). Ce serait un coup de poing dans le visage de ces enfants la première fois qu'ils iraient consulter leur pédiatre. Il dirait tout de suite : « Ah, vous êtes né d'un don… » Autrement dit : « Les antécédents héréditaires de vos parents ne m'intéressent pas vraiment. Je préfère savoir qui est le donneur, pour savoir quelles maladies il avait. » L'enfant qui entendrait cela serait interloqué, si ses parents ne lui ont pas dit qu'il y a eu recours à un don. Il nous faut donc faire en sorte d'encourager les parents à le dire dans l'enfance, mais il ne faut pas une obligation brutale qui se substituerait au dialogue fécond entre parents et enfants. La révélation doit intervenir dans ce cadre.

J'aimerais aussi connaître votre avis sur les enfants nés de GPA à l'étranger. Le président de la République a indiqué qu'il nous fallait progresser. En effet, nous ne pouvons pas rester dans une situation où les droits des enfants sont différents selon les circonstances de leur conception. Ils ne sont pas responsables de leur mode de procréation. On peut être opposé à la GPA, mais en France rien n'interdit à un couple d'aller à l'étranger. Quand ils reviennent en France, les parents reconnus dans le pays de naissance ne sont pas systématiquement reconnus en France. Le père l'est, mais la mère doit entreprendre une longue procédure d'adoption. L'affaire Mennesson dure par exemple depuis près de vingt ans. Nous voyons bien que cette situation n'est pas tenable. Il nous faut trouver une solution.

Cela devrait devenir moins difficile, puisque, avec la création du beau nom de « mère » pour la seconde femme d'un couple homosexuel qui s'occupe d'un enfant, la mère n'est plus la femme qui accouche. Nous pouvons donc remettre les formules latines au stade du latin et créer une nouvelle formule pour dire que la mère n'est pas la femme qui accouche. C'est celle qui s'engage à tous les devoirs que représente la maternité.

Par ailleurs, j'aimerais savoir ce qu'il en est pour l'accès à leurs origines des enfants nés dans le secret, que l'on appelait « accouchement sous X ». Les demandes sont nombreuses ; un petit nombre vont jusqu'au Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), beaucoup se perdent en route et un tout petit nombre de ces demandes amènent à retrouver les mères en question. La demande n'est pas moins légitime de la part de ces enfants. Comment y répondre ?

Avez-vous une idée des informations qu'il pourrait être opportun de délivrer aux enfants nés d'un don et qui vont attendre d'avoir 18 ans pour accéder à toutes les informations sur leurs origines, mais à qui l'on aura révélé à l'âge de 4 ans qu'un gentil monsieur a envoyé une graine, etc. ? Ces enfants ne vont pas attendre quatorze ans pour avoir réponse à leurs questions. Pensez-vous que l'on doit prévoir dans la loi un continuum entre le discours tenu dans la première enfance et l'accès complet aux origines à 18 ans ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur la réception d'ovocytes de la partenaire (ROPA). Pour schématiser, dans un couple de femmes homosexuelles, l'une apporte les ovocytes, l'autre apporte l'utérus. Les deux femmes contribuent ainsi encore plus étroitement à la naissance de l'enfant. Faut-il un mode de reconnaissance particulier dans ce cas-là ?

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