Vos questions, vastes et essentielles, m'amènent à évoquer un thème que je souhaitais aborder. Cela m'apporte beaucoup de tristesse et en apportera à tous, mais il faut que nous prenions conscience que le droit français n'illumine plus le monde de sa lumière depuis des siècles. C'est affligeant pour quelqu'un qui a consacré sa vie au droit. Il existe une réalité : l'extranéité. C'est le caractère étranger, et ce qui est posé ici n'est pas forcément ce qui est le droit ailleurs. Habitant une région frontalière, je vois régulièrement des personnes qui vont à Gérone, à Barcelone : des jeunes femmes qui vont se faire inséminer là-bas en toute légalité. C'est une inégalité que vous êtes en train de pallier. Beaucoup de couples d'homosexuels hommes, mais probablement aussi davantage de couples hétérosexuels, ont recours à la GPA à l'étranger. Notre position juridique est globalement intenable sur ces questions.
Sur la GPA, la position du droit français depuis 1994 est inapplicable. L'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 31 mai 1991, rendu dans l'intérêt de la loi, dit : « La convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à porter, à concevoir un enfant pour le compte d'autrui est nulle. » C'est une sanction inapplicable. Et se positionner uniquement sur le terrain du contrat ne répond pas au caractère humain de la dimension de la GPA.
Tout ce qui s'est ensuivi s'appuie sur une jurisprudence de 1878, celle de la fraude de la princesse de Bauffremont, qui cherchait à divorcer. Et l'on dit : « Puisque vous avez fraudé, nous allons vous sanctionner. Et je prive l'enfant de la nationalité française, en violation des dispositions du code civil. » Mais le même code civil prévoit qu'un enfant né à l'étranger d'au moins un parent français est français. Cela constitue une contradiction absolue.
Quant à refuser la totalité des droits à l'autre parent, y compris et surtout lorsqu'il s'agit d'un couple hétérosexuel et que la mère qui n'a pas accouché est pourtant celle qui a donné les ovocytes, c'est un déni de la réalité. Nous avons été sanctionnés par la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement des droits de succession. Quand Mme Mennesson décédera, ses filles seront taxées à 60 %, parce que c'est une parfaite étrangère pour elles, sauf à reconnaître d'autres droits, par l'adoption. Vous avez ouvert des portes, et je vous en sais gré. Il y en aura d'autres à ouvrir, peut-être pas tout de suite, mais ce sont des situations qui ne sont plus tenables.
J'ai dit que la science était écrasante par rapport au droit, mais ce n'est pas tant la science que l'être humain, la curiosité. Comment résister à la tentation de connaître ses origines en sachant qu'aux États-Unis ou en Inde on va bientôt me dire pour 20 ou 30 euros la totalité de ce que je veux savoir, sur mon risque d'alopécie, sur mes origines ethniques, sur mon père… ? Nous évoquions le fait que le droit avait toujours admis que la réalité sociologique suffisait, puisqu'il y a une différence entre la filiation et l'origine.
La position du Conseil d'État est admirable. Elle constitue une analyse juridique de très haut vol, mais il y a aussi la réalité : celle que nous impose le monde, celle que nous impose l'universalité d'un monde en connexion perpétuelle, avec des choses qui étaient inenvisageables du temps de Napoléon Bonaparte. Il va néanmoins falloir trancher le nœud gordien, il va falloir sortir de cette impasse, il va falloir décider. Je pense que notre droit commun dispose d'outils qui vont permettre de résoudre certaines difficultés. Pater is est, la présomption de paternité, peut tout simplement être une présomption élargie.
Il y a aussi des situations où les outils que nous avons posés, notamment vis-à-vis de la gestation pour autrui, ne sont pas du tout adaptés. Il va alors falloir sur le plan juridique, mais surtout sur le plan humain, apporter des modifications qui me paraissent indispensables.