Intervention de Laurence Brunet

Réunion du lundi 2 septembre 2019 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Laurence Brunet, chercheuse associée à l'Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne (université Paris-1 Panthéon-Sorbonne) :

Lorsque l'on parle de droit commun, il s'agit de droit commun aménagé pour les couples qui ont eu recours à un don de gamètes. Ce droit est extrêmement protecteur, puisqu'il dit que la filiation est verrouillée, sauf si l'on prouve que l'enfant n'est pas né du don. Ainsi, pour un couple hétérosexuel, si l'on prouve que la femme a en fait eu une relation en dehors de son couple et que l'enfant n'est pas né d'un don anonyme, ce que confirmerait l'action en recherche de paternité, la filiation s'effondrera de la même façon. C'est évidemment prévu depuis 1994. C'est dans le texte actuel. Si l'on n'a pas eu recours à une AMP avec don de gamètes et qu'un homme prétend être le géniteur, c'est lui qui l'emportera de toute façon, qu'il s'agisse d'un couple de femmes ou d'un couple hétérosexuel.

En revanche, pour tout le reste, si l'on étendait le droit commun, ce serait à mon sens l'article 311-20. Ce serait donc ce droit commun aménagé, non dans sa version extracontentieuse – la présomption, la reconnaissance et éventuellement la possession d'état –, mais dans sa version contentieuse. En 1994, des contentieux avaient déjà eu lieu : des maris avaient désavoué les enfants nés d'un don de gamètes. On a verrouillé la filiation, et ce verrouillage est indispensable. La preuve biologique ne peut donc pas être produite en justice. DAV ou pas DAV, ce qui est important, c'est que le droit commun aménagé au don de gamètes nous permet de sécuriser au maximum la filiation de l'enfant. Personne, et pas même la conjointe ou la compagne, ne peut dire ensuite que l'enfant n'est pas le sien.

Pour les couples mariés, nous avons aujourd'hui la présomption de coparenté. Pour la femme non mariée, nous aurions la reconnaissance et un forçage possible de la reconnaissance. C'est ce qui est écrit dans l'article 320 : la possibilité de faire reconnaître en justice sur la base du consentement. Ce sera la base du consentement. Peut-être qu'au moment de l'établissement, dans la phase extracontentieuse, nous aurons besoin d'une preuve, que l'officier d'état civil vise le consentement des couples de femmes, mais c'est la seule chose. Les couples hétérosexuels qui ne voudront pas faire la DAV contourneront de toute façon la loi. Il y a des couples qui seront heurtés par cette mention sur l'acte de naissance.

Les couples hétérosexuels qui ne voudront pas de cette transparence imposée fragiliseront l'établissement de la filiation et préféreront cette fragilité – qui sera vraiment préjudiciable à l'enfant – au fait de montrer la déclaration commune anticipée de filiation et que ce soit écrit. Même si je comprends votre intention d'apporter une sécurité plus forte, un acte d'état civil est symbolique. Il traduit l'engagement de deux parents devant l'État disant qu'ils vont être les responsables de l'enfant. Je ne vois pas pourquoi la façon dont les personnes ont conçu l'enfant devrait figurer sur l'acte d'état civil.

Je partage les objections relatives à la mention dans le dossier médical. Des limites pourraient éventuellement être fixées par rapport à ce que l'on pourrait connaître et ne pas connaître. Peut-être que le pédiatre aurait intérêt à connaître la vérité, sans forcément que l'enfant le sache. Le pédiatre pourrait justement en parler avec l'enfant, avec les parents devant l'enfant. Je pense que les pédiatres doivent être partie prenante.

Je pensais au dossier médical, dans la mesure où cela peut être un outil plus souple et que l'on pourrait verrouiller à certains moments, mais je n'ai pas approfondi la question. Je ne suis en tout cas pas seule à le dire. Mme Amélie Dionisi-Peyrusse a écrit un très bon article au JCP (Juris-Classeur périodique) de juillet 2019, où elle explique que la question sera contournée par les couples hétérosexuels. En tant que juriste, peut-on proposer une solution en sachant qu'elle va heurter un certain nombre de nos concitoyens et que le droit sera contourné ? On sait que l'officier d'état civil ne demandera jamais leur déclaration aux couples hétérosexuels. Ils pourront donc toujours dire qu'ils ont conçu eux-mêmes l'enfant. Peut-on donc proposer en conscience un droit en sachant que certains – et un suffit – pourront le contourner ? Il me semble que cela pose un problème.

Quant à l'exposition de la vie privée, une réforme des actes de la vie civile pourrait être envisagée. En effet, quand on voit le décret de 2017 sur les copies intégrales de l'acte de naissance, j'ai des doutes quant à la réelle confidentialité des informations qui y sont transcrites. Un certain nombre d'officiers ministériels ont aujourd'hui accès à ces actes d'état civil. Les magistrats, les juges, les notaires en ont besoin puisque c'est le casier civil de la personne. On ne peut pas savoir si la personne est capable ou incapable si l'on n'a pas la copie intégrale de son acte de naissance. Ils voient ainsi des choses qui, selon moi, ne relèvent pas de leurs compétences. C'est une exposition violente pour les parents. Nous pourrions trouver d'autres modes d'accompagnement empêchant toute vision par des tiers qui n'ont pas à savoir comment les personnes ont eu leurs enfants. De toute façon, si c'est un couple de femmes, les gens le sauront et le diront. L'option du Conseil d'État est donc complètement inutile à mon sens.

Je partage vos interrogations sur le CNAOP et les enfants nés du secret. J'ai vu que le test génétique permet aujourd'hui de retrouver une mère qui a accouché sous X. La loi de 2002 a trouvé un système de conciliation parfait, qui a été validé par la CEDH dans l'affaire Odièvre. Je crois que le Planning familial est extrêmement soucieux de maintenir la possibilité d'accoucher sous X pour une femme. Sur ce sujet, il y a une impasse, c'est exact, et j'ai tendance à souhaiter que le CNAOP reste à part.

Je ne sais pas comment nous pouvons empêcher les tests génétiques sauvages. Je sais que des enfants nés sous X sont en train d'y recourir. Mais comment pouvons-nous l'encadrer ? Il faudrait probablement apporter un soutien aux mères de l'ombre. Peut-être faudrait-il que le CNAOP s'empare de ces questions. C'est un vrai sujet que vous n'avez pas traité. Il faudrait l'anticiper et essayer d'accompagner ces mères qui vont se retrouver dans des situations difficiles.

Il ne faut en tout cas pas confondre une mère dans une situation de détresse et à qui nous demandons aujourd'hui son avis avant de lever son secret, et un donneur de gamètes qui fait un don. Il me semble que l'on peut subordonner son don à la levée définitive de son anonymat.

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