J'ai été sévère avec le droit français, mais vous n'empêcherez pas les exilés fiscaux, vous n'empêcherez pas les travailleurs européens d'aller travailler ailleurs ou d'autres de venir ici. C'est le problème de l'utilisation opportuniste de systèmes juridiques plus intéressants que les nôtres. La question a été tranchée en 1878, à l'égard d'une princesse française que j'ai évoquée tout à l'heure. C'était une belle jeune femme mariée à un vieux prince laid et qui était tombée éperdument amoureuse d'un beau prince roumain.
Elle a acheté un château dans une province qui n'était pas encore partie de l'empire allemand. En acquérant le château, elle a acquis la nationalité du territoire correspondant, a divorcé selon la loi étrangère, puis a demandé l' exequatur, c'est-à-dire la reconnaissance de son divorce, auprès de la Cour de cassation. Il lui a été répondu que son acquisition de nationalité allemande était tout à fait opportuniste, donc constituait un abus de droit. Par conséquent, la Cour de cassation a refusé de donner corps à ce qui avait été obtenu, quoique légitimement, à l'étranger. Cette solution, la Cour de cassation a continué à l'appliquer à l'égard de la GPA, jusqu'à ce qu'elle se fasse taper sur les doigts par la CEDH.
Faut-il aligner notre droit sur les droits étrangers ? Evidemment non. Rien n'est pire pour un juriste que de devoir céder le pas à d'autres systèmes juridiques que le sien – qu'il estime être le meilleur. Nous pouvons et nous devons avoir des spécificités, mais celles-ci doivent être efficientes, logiques et applicables. Vous n'empêcherez pas des personnes qui ne souhaitent pas payer des impôts d'utiliser sciemment des systèmes plus avantageux. On peut les sanctionner : cela reste du contractuel, du pénal, ce n'est pas très compliqué. On peut facilement sanctionner celui qui fraude le droit du travail, cherchant à éviter des inconvénients ou des lourdeurs du système français.
Tout ce qui relève du champ de la GPA, de l'AMP, n'est plus du contractuel. Il ne s'agit plus de questions où le droit peut apporter une réponse univoque, il s'agit d'humain. Vous ne pourrez probablement jamais empêcher des parents d'avoir un désir tel qu'ils vont parfois payer très cher, traverser le monde pour aller là où la loi leur permet d'obtenir ce qui est un besoin au plus profond d'eux-mêmes. Sanctionner ces parents par le droit pénal n'est pas une réponse légitime, et surtout pas au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. Considérer que cette relation n'existe pas consiste à faussement se masquer les yeux en disant : « Mon droit l'interdit, donc cela n'existe pas. » Priver l'enfant de nationalité en disant : « Puisque les parents ont fauté, tu seras puni » n'est pas une sanction acceptable, nous l'avons vu.
Il existe des différences et des disparités, et il faut que les droits soient distincts. Mais il faut que cela soit applicable et justifié. Je réponds certes de manière un peu théorique à votre question qui est fondamentale, mais il faut trouver un juste équilibre. Et l'on ne peut plus ne pas tenir compte du tout de ce qui se fait à l'étranger. Il ne faut pas forcément se calquer, imiter, mais essayer de trouver ce qui pourrait être le mieux au regard des impératifs et des valeurs qui sont les nôtres, mais aussi au regard de la réalité.
La Cour européenne ne sanctionne pas la France pour sa prohibition de la gestation pour autrui, comme le rappelle l'arrêt Mennesson. En revanche, les conséquences de sa prohibition sont contraires à l'esprit de la convention à laquelle elle a adhéré.