Intervention de Anne Courrèges

Réunion du mardi 3 septembre 2019 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

En ce qui concerne les liens entre l'Agence de la biomédecine et les CECOS, je pense qu'il faut apporter une clarification : les CECOS sont une association de professionnels qui historiquement participent à l'activité de don de spermatozoïdes et, dans un certain nombre de cas, de dons d'ovocytes. En réalité, l'activité de don est exercée dans les centres clinico-biologiques d'AMP. L'activité de don des centres clinico-biologiques d'assistance médicale à la procréation est autorisée. Il faut distinguer l'organisation professionnelle et l'activité elle-même. Celle-ci est autorisée par les agences régionales de santé (ARS) après avis de l'Agence de la biomédecine. À partir du moment où un système d'autorisation existe, il y a bien évidemment un système d'inspection, mis en œuvre par les ARS, après avis de l'Agence de la biomédecine. L'organisation est donc identique à celles des activités de prélèvements et de greffe d'organes : les ARS ont la main et sont l'autorité d'autorisation et d'inspection, l'Agence de la biomédecine leur apporte son concours.

La loi précise par ailleurs que les règles de bonnes pratiques couvrent l'activité de don. L'encadrement réglementaire est donc très proche de ce que nous connaissons dans les autres activités dont l'Agence de la biomédecine a la charge. Ces règles de bonnes pratiques sont proposées par l'Agence de la biomédecine, travaillées avec les professionnels et les associations et arrêtées par le ministère de la Santé. À côté, des outils de suivi et de travail collectif sont plus informels. Comme toutes les activités dont nous avons la charge, nous sommes amenés à en rendre compte, c'est à cela que sert le rapport d'activité médicale et scientifique, document très dense, très riche, en raison de l'obligation faite aux centres de remonter leurs données. Des bases de données existent à cette fin. Ce suivi informel permet d'identifier les questions qui se posent et de chercher des réponses communes ou de proposer des ajustements réglementaires tels qu'une actualisation des bonnes pratiques lorsque cela est nécessaire.

Cet ensemble d'outils formels et informels permet ainsi de graduer la réponse suivant le niveau de contraintes ou de réglementations qui devient nécessaire et d'avoir un suivi de cette activité.

Les campagnes de dons gamètes constituent un sujet majeur. Nous consacrons tous les ans environ 790 000 euros aux campagnes pour la promotion des dons de gamètes. Le don d'ovocytes fait l'objet d'une attention particulière car nous sommes en situation de pénurie, à l'inverse du don de spermatozoïdes. Les dons ont somme toute progressé ces dernières années, tout particulièrement grâce à l'ouverture faite en 2016 aux couples qui n'ont pas pu procréer. Pour le don de spermatozoïdes, en 2017, nous relevions 404 donneurs là où en 2015, nous en relevions 250. Pour le don d'ovocytes, nous étions à 740 donneuses en 2017 là où nous étions à 540 en 2015. Une vraie progression est constatée dans ce domaine, ce qui ne veut pas dire qu'il faut réduire les efforts. Au contraire, il faut les poursuivre et les amplifier compte tenu du fait que les évolutions législatives peuvent conduire – ce qui est difficile à anticiper – à avoir des besoins, et ne serait-ce parce qu'un important besoin d'information et de pédagogie existe sur les évolutions législatives en cours et les nouvelles règles posées. Nous sommes d'ores et déjà en discussion avec le ministère. Le cadre budgétaire étant annuel, nous n'avons pas aujourd'hui les moyens puisque la loi n'est pas votée, mais nous avons un engagement des pouvoirs publics et du ministère de la Santé d'avoir des moyens significatifs pour mener des campagnes dans ce domaine. Quand je dis « nous », je parle de l'Agence de la biomédecine pour les campagnes nationales qui utilisent tous les vecteurs tels que la radio, ou le cinéma – il nous est arrivé de faire des campagnes de cinéma – ou des campagnes numériques. Pour toucher un public jeune, les campagnes numériques sont essentielles. Mais la communication passe aussi par des actions de terrain. Il est important que les centres d'AMP disposent également de moyens pour participer à l'activité de communication au plus près de nos concitoyens.

Il y a un précédent récent : quand la loi de modernisation de notre système de santé a modifié le régime du consentement présumé, l'Agence de la biomédecine, a conduit, en plus de sa campagne annuelle, une deuxième campagne exceptionnelle à l'automne pour faire la pédagogie des nouvelles dispositions qui entreraient en vigueur. Ces campagnes ont été particulièrement efficaces. Inspirés de ce précédent, nous commençons d'ores et déjà à réfléchir aux campagnes qui pourraient être menées – sous réserve de ce qui sera voté définitivement par le législateur.

Je rappelle par ailleurs que le régime de l'importation des gamètes est assez encadré : les importations de gamètes sont autorisées par l'Agence de la biomédecine et ne sont prévues que dans deux hypothèses : la poursuite d'un projet parental – le couple fait alors venir ses propres gamètes – ou l'hypothèse de la préservation de la fertilité. En dehors de ces hypothèses, l'importation de gamètes est interdite, notamment car la France a fait le choix d'un régime de don éthique particulièrement encadré. Les hypothèses d'importation aujourd'hui prévues par le code sont celles-là.

Il est nécessaire de clarifier les notions de don dirigé et de don relationnel. Dans le don relationnel, un de vos proches ému par votre situation personnelle, sensibilisé en tout cas, se dit qu'il souhaite donner ses gamètes. S'il vient avec vous, il peut arriver que certains centres offrent au demandeur une priorité d'accès à des gamètes anonymes. Le donneur qui vient avec vous ne donne pas pour vous, mais pour la collectivité. Le don dirigé va bien plus loin puisque le donneur donne pour vous et qu'il n'y a donc plus d'anonymat. Ce n'est pas de même nature que le don d'organes du vivant, ne serait-ce que parce que le rapport bénéfice/risque n'est pas le même, notamment si on se place du point de vue du receveur pour le don d'organes. Par ailleurs, dans le don de gamètes, il y a toujours au minimum un troisième acteur qui est l'enfant à naître. La finalité de l'AMP est de faire naître un enfant.

Le don dirigé fait partie des questions de société sur lesquelles nous n'avons pas à prendre parti. Nous pouvons indiquer que ce point soulève des questions éthiques qu'il ne faut pas négliger, parce que c'est là où les risques de pression sont potentiellement les plus forts, que ce soit des pressions familiales ou amicales ou que ce soit les pressions monétaires. Il convient de vérifier en effet que le don reste altruiste. On ne peut pas exclure des risques de transaction. Il faut également tenir compte de l'enfant à naître, de la façon dont il se positionne par rapport à ce donneur qui n'est plus anonyme.

La méthode de réception des ovocytes de la partenaire (ROPA) n'est pas autorisée en France, puisque les couples de femmes n'ont pas accès à l'assistance médicale à la procréation en France. Si je comprends bien, l'une des femmes donne son ovocyte et la grossesse est menée par l'autre femme, ce qui permet aux deux femmes d'être associées à la grossesse. Dans le couple de femmes, on passe par l'acte le plus simple, la solution la plus évidente : l'insémination. La ROPA, si j'ai bien compris, suppose tout de même l'intervention d'une stimulation et d'une ponction ovocytaire. Il faut peser les aspects éthiques et les bénéfices/risques compte tenu de cet acte supplémentaire. Je rappelle que cette pratique n'est pas autorisée en France, et je ne vous cache pas que nous n'avons pas eu d'études de suivi. Nous essaierons de nous renseigner dans les semaines à venir pour avoir un avis plus éclairé.

Les centres privés d'AMP sont un sujet complexe et nous avions posé la question dans notre bilan d'application, sans apporter d'éléments de réponse décisifs. Il va falloir que vous pesiez les arguments pour et les arguments contre. D'une part, l'intervention de plus de centres impliquera potentiellement plus d'offres parce que nous arriverons à avoir un maillage du territoire plus dense. C'est un peu l'idée que sous-tendent ceux qui promeuvent cette hypothèse. Dans le sens inverse, des risques d'encadrement ou de marchandisation ressortent. Le besoin de garde-fou est incontournable, y compris pour fixer les conditions de fonctionnement et d'autorisation, de recrutement des nouveaux donneurs, de tarification – notamment le fait que les tarifs soient bien opposables, sans dépassement d'honoraires. De nombreuses questions sont ainsi soulevées. Je constate que cette question divise la communauté professionnelle.

Le suivi des donneurs, des enfants et des parents est une mission légale de l'Agence de la biomédecine. Le suivi est anonyme, son objet étant de savoir dans quelle mesure le recours à l'AMP a des conséquences pour l'état de santé du donneur, de la femme qui portera l'enfant et bien évidemment des enfants nés d'AMP. Dans ce dernier cas, le suivi peut nous amener très loin dans le temps. Ce suivi se met progressivement en place sous la forme d'études et suppose des croisements de bases de données. Une étape décisive a récemment été franchie dans ce domaine : nous pouvons maintenant croiser nos données à la fois avec les bases du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), les bases hospitalières, et les bases de l'assurance maladie. Les premières études donnent des résultats assez convergents avec ce que donnaient les études internationales. Aucune spécificité française ne ressort. Nous investirons beaucoup dans les années à venir sur ce sujet, qui est une priorité, afin de réaliser à un suivi rétrospectif, longitudinal, pour toutes les populations concernées et obtenir des éléments d'analyse qui permettront également d'orienter les pratiques de suivi.

Nous saurons ainsi si les pratiques de suivi de donneurs d'organes méritent d'être importées sachant que les cohortes grossissent beaucoup. Un suivi annuel des donneurs d'organes est prévu par la loi, qu'il convient d'organiser. Il est également nécessaire de convaincre le donneur, qui est en bonne santé, de s'y soumettre. Souvent, le donneur passe à autre chose. Nous sommes en train de travailler avec l'ensemble des professionnels et des associations pour faire évoluer ce suivi, pour voir dans quelles mesures il est possible d'introduire de la télémédecine, d'impliquer la médecine de ville, etc. Certains donneurs ont peut-être besoin d'un suivi rapproché, d'autres vont très bien et peuvent être suivis en médecine de ville.

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