Les nouvelles pratiques médicales, et notamment le développement des greffes haplo-identiques, semi-identiques et dans un cadre familial, nous ont confrontés concrètement à la question du prélèvement des cellules souches hématopoïétiques traitée par le projet de loi. Quand ces possibilités techniques ont été ouvertes, il y a eu des situations où le seul donneur compatible intrafamilial était un enfant mineur au bénéfice de ses parents, ce qui n'est pas possible dans le cadre législatif actuel. Notre expérience montre qu'il est possible d'envisager ce type de prélèvement en apportant toutes les garanties nécessaires, notamment procédurales. Je pense au comité donneur vivant qui peut entendre l'enfant éventuellement avec la présence d'un pédiatre et d'un psychologue. Cette discussion utile permet de voir s'il perçoit la situation, comment il se projette dans cette situation.
En cas de prélèvement sur un mineur, le détenteur de l'autorité parentale donne l'autorisation. Or, les parents parce qu'ils peuvent être les bénéficiaires de ce prélèvement, se retrouvent dans une situation dans laquelle ils peuvent être juges et parties. C'est pour cela que dans cette hypothèse est introduite un administrateur ad hoc, ce qui est également le cas pour le majeur protégé dont le parent serait le bénéficiaire. Un tiers sera ainsi l'avocat de l'enfant, le garant de son intérêt, en n'ayant pas d'intérêt direct dans la situation puisqu'il ne sera pas bénéficiaire de la greffe. Cette garantie procédurale prévue par le projet de loi est très importante.
Bien évidemment, tous les mineurs ne sont pas concernés. Nous avons commencé à réfléchir aux critères qui pourraient être prévus. Aucun consensus médical n'existe, ni en France ni à l'étranger, sur des règles ou des critères, notamment d'âge, qui seraient absolus. Ce sera du cas par cas en pondérant plusieurs critères : l'âge en serait un, mais le poids ou la morphologie seraient également à prendre en compte, ou des critères tenant à l'état de santé de l'enfant ou à son degré de maturité. Les garanties procédurales ont donc leur importance parce qu'elles nourrissent aussi les critères qui pourront être retenus.
Un ensemble de critères aura donc vocation à être pris en compte. Les professionnels précisent qu'il ne faut pas nécessairement fixer dès à présent dans la loi des critères qui seraient indépassables, absolus, qui se heurteraient à la pratique : un enfant qui aurait 14 ans et 9 mois, dont le poids serait conséquent, dans un excellent état de santé, et qui serait le seul donneur compatible. Or, sans prélèvement, son père ou sa mère mourrait dans les trois mois. Il faudra être pragmatique, avec le souci prioritaire de la protection du donneur. Je rappelle que le don éthique est le don qui apporte autant de considération au donneur qu'au receveur. C'est pour cela que de nombreuses garanties ont été mises en place et que des critères seront mis en œuvre. La question de l'âge sera bien évidemment intégrée. Toutefois, il ne serait pas pertinent d'inscrire ces critères dans la loi.
Pour les majeurs protégés, nous restons dans l'hypothèse du don familial. Il n'est pas possible de faire de prélèvement sur un mineur hors cercle familial, hors apparenté. Il est possible de faire un prélèvement sur un mineur ou un majeur protégé lorsqu'il s'agit de donner pour son frère, sa sœur, son neveu, sa nièce, son oncle ou sa tante. Le projet de loi étend ces possibilités à ses parents, en introduisant l'administrateur ad hoc pour la raison que j'indiquais : la personne qui a en charge la protection du majeur protégé est parfois le parent qui pourrait être bénéficiaire du prélèvement. Un tiers neutre doit représenter les intérêts du majeur protégé dans situation.
Je rappelle que le don croisé permettra de résoudre des problèmes d'impasse immunologique. Un certain nombre de personnes sont en attente de greffe et, pour des raisons immunologiques, ont des difficultés à y accéder selon les modalités de droit commun. Il se trouve qu'elles auraient potentiellement un donneur vivant, une personne de leur famille ou un proche, qui serait disposé à donner un rein – nous sommes dans l'hypothèse du don de rein du vivant – mais qui n'est pas compatible. Une autre personne en attente peut se retrouver dans la même situation : elle a un donneur vivant de rein, mais qui n'est pas un donneur compatible. Le don croisé repose sur le fait que le donneur de l'un est compatible avec la personne en attente de greffe de l'autre côté. Nous allons donc croiser. En 2011, cette possibilité était nouvelle et nous n'avions pas beaucoup de recul et de documentation. Le choix a été de faire une simultanéité absolue : les prélèvements ont lieu en même temps, quasiment au chronomètre, et on essaie de greffer en même temps. Cette possibilité est limitée à deux paires.
Entre 2014 et 2016, dans ce schéma, il n'y a eu que 10 greffes. Il n'y en a eu aucune depuis 2016. Aujourd'hui, le programme est à l'arrêt parce que l'exigence de la simultanéité et le fait de fonctionner avec seulement deux paires pour trouver le croisement parfait constituent des contraintes bien trop lourdes pour les équipes. Elles vont s'orienter vers des alternatives plus invasives, notamment pour le receveur, telles que des greffes ABO incompatibles ou des greffes HLA incompatibles, qui vont supposer des désensibilisations. Les équipes et les associations – il y a bien unanimité – nous ont fait remonter le besoin de trouver le moyen d'assouplir le régime existant pour donner une chance à ce programme destiné à des patients en impasse immunologique, tout en maintenant un encadrement afin d'essayer de trouver le bon équilibre entre les intérêts en présence.
Pour cela, nous avons regardé ce qui se passait à l'étranger. Nous avons la chance de participer à un groupe européen qui étudie cette question en lien avec les États-Unis. Nous avons travaillé avec les équipes mathématiques de l'École normale supérieure (ENS) et de l'École de mathématiques de Paris. Des modélisations montrent qu'il faut absolument assouplir la condition de simultanéité, que le don croisé ne peut marcher qu'en cas de « temps rapproché », pour éviter les ruptures de chaîne, donc en sortant de la simultanéité absolue, et qu'au moins trois paires sont nécessaires. Les contraintes que vous évoquiez sont à la fois des risques de ruptures de chaîne – plus la chaîne est grande, plus les risques de rupture sont importants – et des contraintes organisationnelles et logistiques. Celles-ci sont toujours présentes dans le domaine du prélèvement et de la greffe d'organes. Les modèles suggèrent qu'avec quatre paires, ce programme devrait pouvoir retrouver la place que nous souhaitons lui donner.
Une évaluation est prévue et s'il apparaissait que le modèle méritait d'être ajusté, il aurait vocation à l'être. Il est important de garder cette souplesse. Un modèle dans lequel tous les prélèvements peuvent être faits sur quatre paires en l'espace de 24 heures permettrait de donner une chance au programme tout en respectant les couples en présence et en évitant que des personnes se retrouvent sans greffe in fine.