Intervention de Alexandra Benachi

Réunion du mardi 3 septembre 2019 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Alexandra Benachi, présidente de la Fédération française des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) :

J'ai décliné les trois types d'interruption sélective : pour malformation du fœtus, pour pathologie de la mère et pour grossesse hypermultiple. Si nous nous en tenons à l'alinéa relatif à l'interruption sélective tel qu'il est formulé dans le projet, nous ne pourrons pas faire d'interruption sélective dans une situation de pathologie fœtale. La phrase relative à la non prise en compte des caractéristiques fœtales ne pose aucun problème pour les interruptions pour pathologies maternelles et pour grossesses hypermultiples, car nous ne regardons pas le fœtus. Mais cette phrase nous empêche d'intervenir dans une situation de pathologie fœtale. Voilà pourquoi nous avons proposé deux alinéas différents pour les interruptions sélectives.

Chaque année, les CPDPN font environ 50 000 consultations et 7 000 IMG. Le nombre est parfaitement stable depuis dix ans. Vous trouverez tout cela dans les rapports de l'ABM. Les IMG les plus fréquentes sont en réponse à des anomalies chromosomiques : la trisomie 21 qui est la plus fréquente, puis la 13 et la 18, qui sont létales dans la plupart des cas. Nous ne pourrons donc pas faire mieux. C'est ainsi, c'est la nature. Il y a des anomalies chromosomiques. Parmi les malformations les plus fréquentes, il y a l'anencéphalie, le spina-bifida, toutes les anomalies de fermeture du tube neural, etc. Certaines mesures de prévention sont possibles avec l'acide folique. Nous y travaillons tous. La plupart des cas restent malgré tout des malformations gravissimes. Nous ne pouvons pas et nous ne pourrons jamais remplacer un cerveau fœtal. Il y a également les syndromes polymalformatifs, qui peuvent être le signe d'une maladie génétique grave. Nous pourrons peut-être un jour faire de la thérapie génique, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. La nature ne faisant pas si bien les choses que cela, 3 % des enfants naissent avec une malformation ou présentent une malformation in utero. Voilà pourquoi il y a encore des interruptions de grossesse. Nous sommes capables de faire une prise en charge pour certaines pathologies : nous plaçons de petits ballons dans les trachées pour les hernies de coupole diaphragmatique, nous dilatons des valves cardiaques, nous mettons des cathéters pour drainer du liquide dans le thorax. Nous savons faire tout cela, mais cela ne représente qu'une petite partie des problèmes possibles.

Ainsi, oui, nous faisons des interruptions de grossesse, mais c'est parce que nous ne savons pas tout traiter. Il n'y a malheureusement pas d'option pour certaines pathologies très graves. Certains couples choisissent de ne pas faire d'interruption. Nous en voyons de plus en plus demander un accompagnement néonatal. Nous incitons à cela, mais il faut que le bébé soit atteint d'une pathologie létale : l'enfant décédera à la naissance. Une fois que l'enfant est né, nous le prenons en charge. Quand il n'a pas de cerveau, nous accompagnons. De plus en plus de couples choisissent l'accompagnement plutôt que l'interruption de grossesse, et c'est clairement la meilleure solution pour certains d'entre eux.

Vous me demandiez le nombre d'interruptions de grossesse. Nous ne demandons cette information aux CPDPN que depuis deux ans. Comme toujours, lorsqu'une remontée d'information est organisée, le chiffre met trois années pour se stabiliser. Il y a 48 centres en France et il faut le temps que tout le monde récupère les données. Je pense qu'il y en a environ 500 par an en France aujourd'hui, probablement davantage, mais nous n'avons pas les chiffres exacts pour l'instant. Si l'interruption de grossesse hors d'un CPDPN est rendue illégale, ce que nous demandons aussi dans le texte, nous aurons l'information exacte.

Vous me demandiez également si l'intervention d'un psychiatre était nécessaire. Tout dépend de l'état de la patiente. Nous sommes très sensibles à ce sujet. Nous proposons systématiquement une consultation avec un psychologue. Tous les CPDPN ont des psychologues. Si la patiente est vraiment très mal, ils doivent référer à un psychiatre. Il arrive qu'une patiente soit si mal que nous demandons à voir le psychiatre directement, mais je crois qu'il n'est pas nécessaire de systématiser la pratique. Les psychiatres sont déjà débordés. Nous savons quand il faut demander l'aide d'un psychiatre, nous avons l'habitude.

J'en viens aux champs de la médecine fœtale et du diagnostic prénatal. Je n'ai peut-être pas été assez claire tout à l'heure. Quand la médecine fœtale a débuté dans les années 1990, il ne s'agissait que de diagnostic. Nous ne savions faire que cela. Lorsqu'il y avait une pathologie grave, nous interrompions la grossesse, et lorsque ce n'était pas grave, nous attendions que le bébé naisse pour agir. La notion de médecine fœtale est apparue peu après. Il y a aussi la chirurgie – nous pouvons jouer sur les mots, la chirurgie étant de la médecine. Nous pourrions appeler tout ce que nous faisons « médecine fœtale », mais il y a tout de même aussi de la chirurgie, et comme le terme « diagnostic prénatal » apparaît partout, y compris dans la désignation des CPDPN, nous pouvons garder « diagnostic prénatal ». Nous demandons simplement de ne pas séparer la médecine et le diagnostic car cela ne fait pas sens. Notez que le diagnostic comprend le dépistage. Le dépistage de la trisomie 21 tient bien du diagnostic prénatal. La sémantique n'est donc pas parfaite, mais si vous nous laissez le terme « diagnostic prénatal », ce sera tout de même plus simple. Si nous modifions la définition, je ne pense vraiment pas qu'il y ait de danger à faire disparaître la notion de « gravité » pour les interruptions de grossesse, puisque c'est de toute façon dans le texte sur les interruptions de grossesse. Cela permet de ne pas donner l'impression que nous ne faisons que des interruptions de grossesse à longueur de journée, car c'est loin d'être le cas.

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