Intervention de Joëlle Belaisch-Allart

Réunion du mardi 3 septembre 2019 à 17h10
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Joëlle Belaisch-Allart, présidente de la SFG :

Merci du temps que vous nous consacrez. Je vais parler au nom du CNGOF et de la SFG. Vous nous avez invités à nous exprimer essentiellement sur les articles 1er et 2. L'article 1er traite de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes seules et aux couples de femmes. Ce point ne nous pose pas de problème, nous l'avons écrit. Le questionnaire auprès des membres du CNGOF montre qu'ils y sont favorables.

M. Israël Nisand comme moi-même nous interrogeons tout de même énormément sur la provenance du sperme. Nous avons entendu que certains ne seraient pas inquiets quant à la quantité de sperme nécessaire. Nous voulons tout de même attirer l'attention sur le fait que le délai d'attente est de l'ordre d'un an pour les couples hétérosexuels qui ont actuellement besoin d'avoir recours à un don de sperme. Si la demande augmente et que rien n'est fait pour augmenter l'offre, il y aura obligatoirement une pénurie. Nous nous demandons s'il ne faut pas autoriser le recours aux banques étrangères, comme le font en particulier nos collègues de Belgique. Nous voulons également poser une question un peu tabou : ne faudrait‑il pas rediscuter de l'indemnisation du don ? Notez que je n'ai pas utilisé le terme de rétribution. Il faut être conscient que, si rien n'est fait et si nous comptons seulement sur une campagne pour sensibiliser les hommes au don de sperme, le droit nouveau ouvert ne sera que purement théorique.

Le deuxième point est l'introduction d'un âge limite. De nombreuses enquêtes ont été menées auprès des professionnels regroupant tant le CNGOF, la SFG, la Fédération nationale des collègues de gynécologie médicale (FNCGM), le Groupe d'étude de la FIV en France (GEFF) et le BLEFCO (Biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'œuf). Il en résulte que nous sommes pour une limite de la prise en charge chez l'homme par la sécurité sociale. Il y a actuellement une limite pour la femme à 43 ans. Comme l'Agence de la biomédecine (ABM) l'a définie, un âge limite de 60 ans pour l'homme nous semble souhaitable. Comme pour la femme, ce ne serait pas interdit, mais pas remboursé.

Pour la femme, nous insistons sur un fait. Il faut bien différencier le don d'ovocytes et l'AMP intraconjugale. La limite actuelle de 43 ans pour la prise en charge par l'assurance maladie ne pose pas de souci à la majorité des professionnels. Pour ce qui est du don d'ovocytes, ou de la reprise des ovocytes après autoconservation, le collège avait pris une position : nous étions convenus à l'unanimité qu'il n'y avait pas de problème jusqu'à 45 ans. Entre 45 ans et 50 ans, cela se discute beaucoup. Cependant, si la femme est en bonne santé et qu'elle est dûment avertie des risques, tant pour elle que pour l'enfant, cela pourrait être fait au cas par cas entre 45 et 50 ans.

Nous avons aussi réfléchi sur l'interdiction du transfert post mortem. Il nous semble très difficile d'autoriser l'AMP pour une femme seule, mais pas une femme veuve, qui de plus aurait ses propres embryons, et d'obliger cette dernière à les donner à un autre couple. Il y a ici aussi une unanimité des professionnels, et je ne pense pas parler uniquement pour le CNGOF et la SFG. Ce ne serait pas très logique. Nous serions plus favorables à l'option consistant à demander aux conjoints à l'avance, dans les nombreux papiers qu'ils ont à signer, s'ils acceptent que leurs embryons soient repris en cas de décès et si, avec tous les délais de réflexion nécessaires, ils autorisent leurs conjointes à procéder au transfert d'embryons. L'autre option consisterait à dire : « non madame, vous êtes veuve, vos embryons sont pour quelqu'un d'autre, mais ils ne sont plus pour vous ».

Nous sommes tous favorables à autoriser le double don. Je ne développerai pas davantage ce point, car je voudrais utiliser la majorité du temps qui est imparti au CNGOF et à la SFG à parler de l'autoconservation ovocytaire. Ce sujet nous tient particulièrement à cœur. Il est vrai que le désir d'enfant est de plus en plus tardif. Le motif explicatif des femmes carriéristes persiste mais ce n'est pas du tout la bonne raison. En vérité, des enquêtes espagnoles, américaines, israéliennes et australiennes montrent que les femmes qui optent pour une autoconservation le font parce qu'elles n'ont pas trouvé l'âme sœur, c'est-à-dire pas l'homme, ou parfois pas la femme, avec qui faire un enfant. Cette raison est mise en avant dans 80 % des cas. Vous pouvez faire autant de campagnes que vous voudrez pour expliquer aux gens qu'il faut faire des enfants tôt, cela n'arrivera pas si la personne n'a pas rencontré celui ou celle avec qui faire des enfants. L'image de la femme qui a recours à l'autoconservation est biaisée. C'est important de le noter. Que la fertilité de la femme comme de l'homme chute avec l'âge, tout le monde le sait. Que proposons-nous actuellement aux femmes de la quarantaine ? Le recours au don d'ovocytes. Il n'est pas assez dit que les grossesses sur don d'ovocytes sont dangereuses sur le plan médical. Il y a des soucis d'hypertension, de pré-éclampsie. Or, il y a une alternative à tout cela : l'autoconservation ovocytaire. Voilà pourquoi nous la défendons absolument.

La situation actuelle est ubuesque. Il est proposé que cela ne soit possible que dans les centres publics. Ce n'est pas acceptable. L'autoconservation est une AMP comme une autre. Nous avons tous le droit de faire de la fécondation in vitro (FIV), de l'injection intracytoplasmique (ICSI) et de la congélation de l'embryon. Nous devrions tous pouvoir autoconserver, secteur public ou privé. Il est hors de question que ce soit uniquement autorisé dans les 29 centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS).

Je crois important que nous insistions sur le sujet. Il nous est répondu que nous n'avons pas l'expérience de la conservation. Mais si nous conservons tous des embryons pendant plus de dix ans. Il faut savoir que l'autoconservation sociétale, ce ne sera pas comme les tissus testiculaires des garçons prépubères, c'est-à-dire une conservation sur trente ans. Ce sera une conservation entre 32 et 40 à 45 ans, c'est-à-dire une dizaine d'années. Nous savons tous conserver, faire des rappels et organiser l'autoconservation. L'informatique nous aide pour cela. Nous insistons donc sur ce point : il faut que tous les centres soient autorisés à la pratiquer, et non pas uniquement les 29 CECOS.

J'attire votre attention sur un dernier point important. Seuls 44 centres, publics et privés d'ailleurs, sont autorisés à l'autoconservation en vue de préserver la fertilité avant un traitement qui la menace. Il faut que cela change et que l'autorisation « de convenance » fasse partie de l'AMP classique.

Nous n'avons pas de commentaire sur les autres articles, c'est pourquoi je me suis un peu étendue sur celui-ci. Je conclus en précisant soutenir complètement ce que François Vialard en particulier vous dira ensuite. Je m'associe aussi par avance aux propos de Nathalie Massin.

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