L'institut Imagine est particulièrement sensible à votre invitation, dans la mesure où ce n'est pas une société savante, mais un institut hospitalo-universitaire qui résulte du Programme des investissements d'avenir, eux-mêmes voulus par la représentation nationale il y a quelques années. Il a vocation à intégrer soin et recherche dans le domaine des maladies génétiques. Je suis venu accompagné de Matthieu le Tourneur et délégué pour la sécurité des données à Imagine. Il prépare également une thèse d'université dans des domaines qui ne sont pas étrangers à ceux discutés aujourd'hui, puisqu'il s'agit de la valeur prédictive des données, de la gestion des données en nombre, de la rupture du colloque singulier inhérente à la génétique, notions qui sont donc familières à cette commission.
Mes collègues ont très bien parlé de la génétique. Elle a ceci d'original qu'elle est à la fois nouvelle, accompagnée de révolutions techniques majeures ainsi que de remarquables baisses de coût des tests, et pourtant profondément ancrée dans l'imaginaire de tous. Elle l'est notamment dans les fantasmes de chacun, sur l'hérédité, sur la famille. Elle est originale en ceci qu'elle ne s'adresse pas toujours à des patients, mais parfois à des êtres ayant disparu. C'est la génétique de l'hérédité. Elle peut aussi s'adresser à des êtres en devenir, à travers l'embryon ou l'enfant à naître. Elle s'adresse enfin parfois à des personnes indemnes de tout symptôme. C'est l'un des sujets que je pense intéressant de soulever auprès de vous, le diagnostic de génétique en situation non pas de dépistage de population, mais en situation préconceptionnelle pour des personnes qui le souhaiteraient.
Cette génétique nouvelle et originale s'accompagne tout naturellement d'un paradoxe. Elle est jugée comme simple, elle est jugée avec autorité : c'est un texte que nous devrions lire avec un programme censé être écrit dans notre génome. Vous savez qu'il en est tout autrement. C'est en fait une génétique de la complexité, d'une variabilité écrasante entre les humains, aussi écrasante que le sont nos rapprochements. Cette difficulté de compréhension explique les réflexions qui se sont développées, notamment sur les nouvelles professions. Il est très important que l'Assemblée puisse soutenir au travers de cette loi les conseillers en génétique. Ils sont absolument indispensables à l'exercice de la génétique. Je crois que tous les généticiens cliniciens peuvent les appeler « collègues », car nous faisons vraiment le même métier.
La génétique appelle donc à répondre à la confusion. Tout ce qui pourra dans la loi concourir à répondre à la demande d'information, à la demande d'enseignement du grand public, sera le bienvenu.
Matthieu le Tourneur et les équipes d'Imagine ont pointé quelques articles du projet de loi qui ne comportent pas forcément d'incohérence, mais appellent peut-être plus de cohésion. Je pense à l'article 9 sur l'information à la parentèle. Je pense à l'article 11 où la garantie d'intervention humaine dans les données en nombre ne touche pas que l'intelligence artificielle, mais s'applique parfaitement aux données de la génétique, qui sont des données en grand nombre, comportant un caractère personnel et ayant un enjeu de souveraineté nationale lorsqu'elles concernent des populations. Je pense aussi à l'article 17 où je qualifierais ici plutôt le problème de rhétorique : la formulation de l'article nous semble pouvoir laisser comprendre autre chose que ce qu'il veut dire.
Je voudrais terminer sur l'article 10. Dans le cadre où il est présenté, il appelle à la modification du code civil sur les attendus généraux du consentement aux tests génétiques, bouclés sur ce que j'avais évoqué sur le diagnostic préconceptionnel. Je voudrais citer les règles d'engagement de la génétique dans les tests. La première est l'utilité. Nous ne faisons pas de la génétique pour le plaisir, pour voir, par curiosité, ou parce que quelqu'un ferait des études, ce qui serait plutôt de la recherche. Dans le soin, la génétique doit être utile et mise en œuvre au bénéfice du patient. Deuxièmement, elle doit obéir à la confidentialité pour l'individu, et à la transparence pour ce que nous faisons. Elle suppose donc la non-stigmatisation des individus – je pense ici au monde assurantiel – et en écho une certaine solidarité. Il est enfin important de dire que la génétique ne doit pas se tromper. C'est peut-être insuffisamment dit. Tous mes collègues exercent dans des cadres où la génétique se pratique au contact entre la recherche et les soins. C'est une chance. Imagine est un exemple de cette intégration, et il y en a beaucoup d'autres dans les CHU français.
À la lumière de ces règles d'engagement, je pense qu'un mouvement du législateur vers le diagnostic préconceptionnel ouvrirait des possibilités aux personnes qui le souhaitent si elles sont porteuses – hétérozygotes dans le langage savant – de gènes prédisposant à des maladies récessives, qu'elles soient sur les autosomes, chromosomes sexuels ou sur le chromosome X. Cela pourrait être un mouvement intéressant et utile, pourvu qu'il réponde aux prescriptions précitées qui guident nos conduites et qu'il respecte la liberté de décision des personnes. Il ne faut pas que ce soit un dépistage, mais un diagnostic. Il faut que cela puisse faire l'objet d'études et de projets pilotes qui puissent analyser les choses, pour savoir ce que veulent et ce qu'ont compris nos concitoyens. Enfin, la dimension médico-économique est essentielle. Comment gérer le coût de ces tests ? N'oublions pas à ce propos que, pour échapper à la véritable et, si je puis dire, légitime critique eugénique, ces tests ne doivent se faire qu'en pensant aux personnes atteintes des mêmes maladies. Celles-là doivent être accueillies dans notre société comme le sont les couples qui souhaitent éviter la naissance d'un tel enfant.
Cette discussion serait intéressante, en ceci qu'elle rendrait humaine la génétique que nous défendons tous. Il ne vous a pas échappé que le nom de la fédération qui regroupe toutes les associations de génétique est l'Association française de génétique humaine.