Intervention de Cécile Martinat

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches, directrice de l'I-Stem (Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques), directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) :

Il est important de revenir sur ces cellules souches embryonnaires humaines, ce qu'elles sont et quelles sont leurs propriétés. Ce sont des cellules issues d'embryons obtenus par fécondation in vitro. Elles correspondent à un stade extrêmement précis du développement, entre cinq et sept jours après la fécondation. Depuis plus de vingt ans, ces cellules ont suscité l'engouement de la communauté scientifique par les deux propriétés cardinales qui les définissent : ce sont des cellules qui sont en théorie capables de se multiplier à l'infini ; leur fonction principale, au plan physiologique, est de donner naissance à l'ensemble des types de cellules qui constitue un organisme.

En France, depuis quinze ans, nous avons appris à les maîtriser, à les contrôler et surtout à contrôler cette capacité de donner naissance à des cellules cardiaques, de la peau, de la rétine. Forcément, découle de ces deux propriétés cardinales une application en thérapies cellulaires. M. Larghero a rappelé l'essai de Philippe Menasché sur le cœur. Nous avons récemment obtenu l'autorisation de lancer un essai sur la rétine. Il faut savoir que, dans le monde, une dizaine d'essais ont démarré. Notre objectif est de pouvoir démarrer très rapidement des essais chez les patients et d'utiliser des cellules de rétine dérivées de ces cellules souches embryonnaires humaines, afin de soigner des pathologies comme la rétinite pigmentaire.

Nous avons été plutôt satisfaits de voir qu'enfin, le législateur avait compris ce distinguo entre embryon et cellules souches embryonnaires humaines. Nous considérons que celles-ci sont des lignées et qu'elles n'ont plus rien à voir avec un embryon. Cependant, ma lecture du texte à l'heure actuelle me laisse penser que si les programmes de recherche deviennent déclaratifs, la conservation des cellules dépendrait néanmoins toujours d'une autorisation. Je tiens à alerter le législateur. Il faut faire attention, parce qu'une grande majorité de nos autorisations de protocole de recherche ont été attaquées devant le tribunal administratif. Le risque de mettre en péril le lancement ou la pérennité de ces programmes est une véritable épée de Damoclès. Le programme que nous développons sur la thérapie cellulaire de l'œil a commencé il y a plus de dix ans. Apprendre du jour au lendemain qu'un programme doit être arrêté, comme la cour d'appel de Versailles a déclaré en mars 2019 annuler deux autorisations de recherche portant notamment sur les cellules souches embryonnaires, c'est cette épée de Damoclès que nous dénonçons.

Nous avons l'impression d'être face à un verre à moitié plein ou à moitié vide. Si l'on instaure un régime déclaratif pour les protocoles de recherche utilisant des cellules souches embryonnaires humaines, les autorisations de conservation seront attaquées. Nous allons nous retrouver à la case départ. C'est un point est extrêmement important. Dans mon avant-propos, j'ai indiqué que ces cellules pouvaient se multiplier à l'infini, mais nous avons besoin de les mettre dans des cuves d'azote, de les conserver à une température extrêmement basse, afin de pouvoir les utiliser. À l'heure actuelle, il n'y a pas une équipe de recherche qui utilise des cellules souches embryonnaires humaines sans avoir une autorisation de conservation. Si l'on fait un pas en avant pour nous permettre de mieux travailler avec ces cellules, il faut aller jusqu'au bout. Le fait de maintenir un régime d'autorisation pour la conservation me paraît freiner cette flexibilité qui nous est offerte.

Les cellules IPS sont des cellules induites à la pluripotence. En 2007, au Japon, le Pr Shinya Yamanaka a identifié la possibilité de convertir par modification génétique des cellules somatiques adultes. Actuellement, nous utilisons essentiellement des cellules du sang. À partir d'un tube de sang de cinq millilitres, nous pouvons générer ces cellules par modification génétique, afin qu'elles présentent les deux propriétés cardinales qui caractérisent les cellules souches embryonnaires humaines, à savoir la multiplication et la pluripotence. À nouveau, nous alertons sur le fait qu'elles sont obtenues par modification génétique. Ce ne sont pas des cellules anodines, mais des cellules que nous pouvons transformer, comme les cellules souches embryonnaires humaines. Nous demandons que leur utilisation soit mieux contrôlée.

Les contrôles font partie de notre quotidien. En particulier, quand nous développons un programme de thérapie cellulaire, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) nous demande, à différentes étapes, de démontrer que nous n'avons plus de cellules souches embryonnaires humaines dans le produit à usage thérapeutique. Nous avons donc développé une batterie de tests nous permettant de caractériser la présence de ces cellules souches embryonnaires.

Vous vouliez savoir si nous avons encore besoin de cellules souches embryonnaires humaines alors que les cellules IPS ont été mises au point. Notre argument de principe est de dire qu'une cellule souche induite à la pluripotence est obtenue par modification génétique. C'est donc un « organisme génétiquement modifié » (OGM). Pour pouvoir manipuler les cellules IPS, nous avons besoin du gold standard de la ressource physiologique que sont les cellules souches embryonnaires humaines. C'est pour cette raison que nous voulons pouvoir continuer à travailler sur celles-ci. Nous en avons besoin, ne serait-ce que pour mettre en place les tests qui nous permettront de valider ou non la présence de cellules pluripotentes.

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