Intervention de Cécile Martinat

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches, directrice de l'I-Stem (Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques), directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) :

Je trouve que l'exemple de la loi de bioéthique, en particulier sur les cellules souches embryonnaires humaines, illustre très bien la difficulté de légiférer par rapport à des développements scientifiques. Le développement scientifique n'aime pas trop la contrainte. Il est vrai que nous, scientifiques, nous n'aimons pas forcément les contraintes, mais si nous regardons ce qui s'est passé avec les cellules souches embryonnaires, je trouve que c'est extrêmement important : en 1994, on interdit la recherche ; en 2004, on l'interdit avec un moratoire ; en 2009, on maintient l'interdiction ; en 2013, on l'autorise et en fait, je crois que cela a été la pire période pour nous parce que c'était tellement mal autorisé que nous nous sommes retrouvés bloqués, confrontés à des situations impossibles.

Je vais donner un exemple concret : être rappelée un 13 août parce que toutes les demandes d'importation de lignées, en particulier pour la recherche clinique, ont été attaquées en justice, ce n'est pas le meilleur souvenir que je garderai de ma carrière de directrice d'unité. Mon regard de citoyenne – je ne parle plus en tant que scientifique – m'amène à me demander s'il y a vraiment un intérêt de devoir sans arrêt interdire. Ne vaut-il pas mieux ouvrir une certaine flexibilité, permettre d'avancer dans la recherche, en définissant des lignes rouges ? Nous sommes les premiers à en réclamer, mais cela nous permettrait de continuer la recherche, pour voir ce qui est faisable ou non et mettre en place un comité de suivi et d'éthique qui soit peut-être plus présent au quotidien par rapport à nos programmes de recherche. Il nous aiderait à avancer, en parallèle de nos découvertes scientifiques.

Quant au texte du projet de loi, je tire le signal d'alarme sur la conservation. Nous donner une certaine liberté d'utiliser les cellules souches embryonnaires humaines tout en nous contraignant à nouveau sur leur conservation, je trouve que c'est avancer pour mieux reculer.

À l'heure actuelle, il est difficile de répondre à votre question sur la différence entre les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules induites à la pluripotence. Nous savons qu'elles sont nombreuses. Certaines sont liées à leur manière d'être cultivées, maintenues en culture ; certaines sont liées à la façon dont nous avons obtenu ces cellules souches induites à la pluripotence ; certaines sont tout simplement inhérentes au donneur (une étude américaine sortie il y a deux ans montrait clairement qu'il y avait une très forte influence du donneur sur l'identification et la caractérisation génomique et génétique de ces lignes). Nous savons également qu'il y a des différences extrêmement fines au niveau épigénétique.

En effet, la vision un peu binaire que nous avions autrefois du génome, à savoir qu'un génome contient des gènes et que les gènes vont donner des protéines, apparaît fausse depuis quelques années. Il existe de petits verrous, une régulation du génome. Il faut savoir qu'il n'y a pas plus 2 % du génome qui codent des gènes. Depuis quelques années maintenant, les scientifiques se demandent à quoi sert le reste de l'ADN. Il a forcément une fonction dans la cellule, qui est infiniment petite et pour laquelle nous savons que tout a une fonction, que tout est régulé. L'une des fonctions est l'épigénétique : nous savons que ces parties non codantes du génome portent des régulateurs épigénétiques. Ce sont des verrous extrêmement fins qui vont permettre de contrôler, d'ouvrir la chromatine, afin qu'elle puisse ou pas s'exprimer. Nous savons qu'il y a des différences épigénétiques entre les cellules souches embryonnaires et les cellules IPS.

Les conséquences fonctionnelles sont encore plus nébuleuses. Il a par exemple été décrit que certaines lignées IPS avaient du mal à donner naissance à certains types de neurones, par rapport à des cellules souches embryonnaires humaines. Au fur et à mesure que nous avançons dans la recherche, nous comprenons mieux les étapes permettant de passer d'un état A à un état B. En poussant un peu le système, nous pouvons contraindre ces cellules récalcitrantes à donner naissance aux types de cellules que nous voulons.

Pour essayer de répondre le plus synthétiquement à votre question, tout cela reste un champ de recherches exploratoires, sur lequel nous devons pouvoir continuer à travailler librement. Il nous faut mieux comprendre ces différences et quelles sont leurs conséquences fonctionnelles pour nous et les applications biomédicales.

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