Intervention de Irène Théry

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 11h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Irène Théry, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) :

Madame la Présidente, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, merci de nous recevoir pour cette audition sur le projet de loi bioéthique. Ce n'est pas la peine de vous dire que, parmi toutes les lois que vous aurez à voter, celle-là est considérée par nos concitoyens comme l'une des plus importantes. C'est une loi qui marquera peut-être la législature et peut-être même l'histoire. Cela donne à chacun de vous une responsabilité particulière. En tant que législateurs, il est essentiel que les enjeux des dispositions que vous allez voter puissent être maîtrisés par tous.

Mme Leroyer et moi souhaitons consacrer entièrement notre audition à la question de la filiation. C'est la disposition du projet qui suscite chez nos concitoyens le plus de discussions et quelquefois le plus d'oppositions. Par exemple, nous avons vu dans Le Monde onze associations LGBT et PMA, sous le titre : « Ne montrons pas du doigt les mères lesbiennes », protester contre deux dimensions du projet. Une première question soulevée sur la filiation est : Est-il légitime de mettre à part un mode de filiation spécifique pour les mères lesbiennes et même de l'inscrire dans notre code civil ? Est-ce que chacun se représente bien d'imaginer qu'il y ait un titre du code civil réservé à une filiation spécifique pour des homosexuels ? La deuxième raison pour laquelle il y a une opposition est que, dans l'état actuel du projet de loi, parce qu'il est construit sur l'idée qu'il faut distinguer les situations des homosexuels et des hétérosexuels. Au regard du fait que les homosexuels ne peuvent pas mentir et que les hétérosexuels pourraient devoir continuer à cacher le don à l'enfant, une autre question se pose : est-il légitime d'établir une discrimination au regard du droit d'accès aux origines, l'un des éléments les plus importants du projet de loi, entre les uns et les autres, au détriment cette fois des enfants de parents hétérosexuels ? Voilà les deux questions soulevées, sur lesquelles j'ai rédigé le texte qui vous a été adressé. Il est assez long, mais il essaye de faire le tour du problème, en présentant les trois solutions qui sont aujourd'hui en discussion.

La solution retenue par le projet de loi consiste à maintenir la filiation charnelle du titre VII actuellement en vigueur pour les couples de sexes différents et à instituer pour les seuls couples de femmes une filiation par déclaration anticipée de volonté. Cette solution est challengée par deux autres propositions. L'une avait été envisagée dans l'avant-projet du gouvernement : elle consiste à étendre à tous les parents qui ont recours à un don (personne seule, couple de même sexe, couple de sexe différent, couple marié, couple non marié) une filiation par déclaration de volonté. La troisième option avait au départ été écartée par le gouvernement. Elle n'avait pas été discutée au moment de la mission parlementaire, mais certaines personnes veulent la rediscuter, ce qui est tout à fait leur droit. C'est le fait de maintenir la filiation charnelle du titre VII pour les couples de sexes différents et d'instituer une filiation spécifique pour les couples de femmes par présomption de comaternité ou reconnaissance, ce qui suppose pour ces couples de fonder la filiation sur le consentement au don. Ce sont les trois options, et il me paraît essentiel que chacun de vous puisse prendre toute la mesure de la portée du choix qu'il a devant soi. Selon que vous preniez une option ou une autre, le sens de la loi, sa dimension sociale, sa dimension politique, sa dimension historique et sa dimension humaine ne seront pas les mêmes.

J'ai tenté de vous apporter une contribution qui aide à mettre clairement les choses noir sur blanc. Je travaille sur ces sujets depuis vingt ans, avec Anne-Marie Leroyer qui est une grande juriste du droit de la famille, mais pas simplement d'un point de vue juridique. Je suis sociologue du droit de la famille. Je travaille sur le changement social. Pour une loi aussi importante, il faut prendre un recul historique, revenir sur ce qui s'est passé il y a cinquante ans, lorsque nous avons commencé à faire les premières banques de sperme et à construire une déontologie médicale sur ces sujets. Il faut bien comprendre les choix qui ont été faits en 1994, au moment de la première loi de bioéthique, pourquoi on a exclu les couples de femmes des options possibles, etc. Mon texte, dont je vais vous présenter les grandes lignes, est fait pour vous donner les éléments fondamentaux.

Avant toute discussion, nous devons nous mettre d'accord sur la situation actuelle et les mots que nous employons. Nous entendons beaucoup parler de droit commun, de retour au droit commun. Dans ce texte, j'essaie de montrer que cette expression – qui désigne en réalité la filiation charnelle du titre VII – n'est pas appropriée et qu'elle est même choquante. Il vaut mieux parler clair, dire exactement ce dont il est question, quand on parle de droit commun. Pourquoi dis-je qu'elle est choquante ? Tout simplement, parce qu'elle donne le caractère de droit commun à ce qui n'est qu'une des deux options pour rétablir la filiation dans notre code civil. Il y a la filiation charnelle du titre VII et il y a la filiation adoptive du titre VIII. Quand on dit que la filiation du titre VII est le droit commun, on pose un principe d'infériorisation, voire d'exclusion de la filiation adoptive, alors même que justement, le grand débat des années 1990 entre juristes de droit de la famille et médecins a porté sur le fait de savoir quelle option on allait prendre : l'adoption ou la filiation charnelle. Ne parlons donc pas de droit commun, bannissons cette expression qui infériorise la filiation adoptive et parlons clairement de la filiation charnelle du titre VII. Je l'appelle « charnelle », alors que je sais très bien qu'elle n'a pas d'adjectif dans le code civil. Je reprends ici la proposition du doyen Carbonnier, grand législateur de droit de la famille, peut-être le plus grand. Il a proposé ce terme pour ne pas parler de filiation biologique. Il dit en effet qu'il y a dans la filiation du titre VII une part de volonté. Le terme de « filiation biologique » ne conviendrait donc pas.

Nous pourrons revenir sur ce débat s'il apparaît qu'il faut préciser les choses. Nous ne pouvons pas travailler si nous ne sommes pas d'accord sur le sens de la filiation du titre VII. Pourquoi l'appelle-t-on « filiation charnelle » ? Quel est son rapport avec la procréation ? Cette filiation doit se comprendre par une longue histoire qui oppose en particulier le droit des femmes, la filiation des femmes et celle des hommes : la mère qui est celle qui accouche (le corps, la procréation), le père qui est celui que les noces désignent (le statut, la volonté). Il faut comprendre cette longue histoire pour dire, en particulier pour les hommes, lorsqu'ils déclarent une filiation ou quand un enfant naît et qu'ils sont désignés comme les pères par la présomption de paternité, qu'il y a toujours eu un écart par rapport à la vérité de la procréation. Cela n'empêche pas que la présomption de paternité est une présomption de procréation qui peut tomber sous la preuve génétique. En cas de contentieux, la reconnaissance comme géniteur d'un enfant pourra tomber sous les preuves génétiques. La difficulté est de comprendre qu'il n'y a rien de contradictoire à ce que la signification sociale et juridique de la filiation du titre VII soit de dire que ceux qui se revendiquent comme les parents et vont endosser le statut de parents sont également les géniteurs de l'enfant. Il n'y a aucune contradiction à le dire. Dans ce cadre, une part est laissée à la possibilité de se tromper ou même de mentir et une part permet que les parents ne soient pas toujours les géniteurs. Il n'y a pas de contradiction entre les deux et cela n'enlève pas le sens de la filiation charnelle du titre VII. D'ailleurs, c'est bien pourquoi personne ne propose d'utiliser exactement les mêmes dispositions pour les homosexuels et les hétérosexuels, dont les couples n'ont pas le même rapport à la procréation.

Si l'on admet que le sens de la filiation charnelle du titre VII est de désigner les personnes qui vont endosser le statut de parents parce qu'ils se déclarent les géniteurs, pourquoi a-t-on choisi cette filiation dans le cas où l'on fait une procréation médicalement assistée (PMA) avec don et où donc, par hypothèse, les deux parents ne sont pas les géniteurs ou l'un des deux ne l'est pas ? Dans le texte, je propose de revenir de façon brève, mais simple sur les raisons qui ont expliqué ce choix, qui résulte de l'idée que l'on doit cacher le recours au don, que le recours au don est un problème social, qu'il menace de stigmates les personnes. Il faut donc trouver un moyen, ce qui a été le cas pour la présomption de paternité avec la reconnaissance, qui permet de glisser dans cette filiation du titre VII des cas où le père sait très bien qu'il n'est pas le géniteur. On a donc choisi de cacher. Je dis aujourd'hui : « Ne soyons pas anachroniques. » Les conditions sociales en 1973 n'étaient pas celles d'aujourd'hui. Ayons de la compréhension pour la façon dont les médecins d'abord et les juristes ensuite ont voulu protéger les familles, alors que l'on accusait ceux qui recouraient au don d'introduire un enfant adultérin dans la famille et que l'Église condamnait le recours au don.

Ce choix a été reconduit par les lois de bioéthique, mais avec un autre argument, qui n'était pas simplement social – ce n'était pas simplement : « Il faut protéger les familles. Il faut que personne ne puisse savoir qu'elles ont eu recours au don », un peu comme un secret de famille, autrefois, quand un homme était stérile, que sa femme pouvait recourir aux bons services du facteur et que personne ne savait rien. À partir de 1994, on continue à cacher le recours au don, mais le silence trouve une autre légitimité. Les médecins élaborent un discours interprétant le recours au don comme un traitement de la stérilité. En fait de traitement de la stérilité, c'est surtout un mode de conception particulier : les personnes hétérosexuelles ayant recours à un don procréent, mais en quelque sorte avec des « gamètes médicaments ». Avec cette idée selon laquelle le don serait un traitement de la stérilité, il n'y a finalement pas de raison de rendre public ce mode de conception. Le don est donc un mode de conception relevant de l'intimité des parents.

C'est à partir de là que l'on a interdit aux femmes seules ou aux couples de femmes d'avoir accès à la PMA en France, puisque c'était un traitement réservé aux situations de stérilité pathologique. On a instauré une filiation pseudo-charnelle en 1994, que je n'ai pas le temps de développer, mais où en quelque sorte, si la femme accouche à la suite d'un don d'ovocytes, cela ne se voit pas. Le père est celui que les noces désignent et s'il y a eu un don de sperme, cela ne se voit pas non plus.

Quelles sont les quatre critiques de cet usage d'une modalité d'établissement de la filiation charnelle dans un cas où par hypothèse, les deux parents ne sont pas les deux géniteurs ? Pourquoi donner le message qu'ils le sont ? Surtout, pourquoi donner ce message à l'enfant, en l'empêchant légalement de pouvoir savoir qu'il est issu d'un don et que ses parents ne sont pas ses géniteurs ? Cela confie aux parents eux-mêmes le soin de dire : « Ce que les institutions signifient n'est pas notre cas. Il faut donc que nous le disions dans notre sphère privée. »

La première des quatre critiques est l'atteinte aux droits de l'enfant à cause d'une filiation qui masque la réalité de son histoire et l'empêche d'accéder à ses origines. Je n'ai pas eu le temps de développer le sujet de l'anonymat général du donneur. Deuxièmement, c'est l'abandon institutionnel des parents recourant au don, car on leur dit : « Nous vous acceptons, mais vous allez passer pour des parents biologiques. » Du point de vue des institutions, c'est un peu en faire des passagers clandestins. Avec leur famille, leurs enfants, ils peuvent entrer dans notre système de parenté, monter à bord, mais ne peuvent pas prendre de billet, parce qu'il faut qu'ils passent par une situation qui n'est pas la leur.

La troisième critique est l'effacement des familles issues de dons. Ces familles existent, nous les organisons, des dizaines de milliers d'enfants en naissent, mais elles n'existent pas en droit et leur situation est considérée comme relevant de l'intimité et du secret. Pendant très longtemps, les premiers concernés, à savoir les enfants, ne se sont pas exprimés. Le grand changement est que les premières générations d'enfants nés de dons sont devenues adultes, ont maintenant quarante ans, font des enfants, prennent la parole et disent : « Nous sommes très contents d'être là. Nous avons des parents et sommes très heureux. Nous admirons nos parents qui ont fait ce processus, afin de nous permettre de naître, mais la construction d'un secret de famille par l'État, d'un secret d'État a porté atteinte à nos familles, à notre vie, à notre identité, nous a fait du mal et est injuste. » Ce n'est pas une question psychologique. C'est une question de justice car il n'est pas juste de créer une catégorie d'enfants à part, la seule qui par hypothèse verrait peser un mensonge sur les conditions du rapport entre procréation et filiation et n'aurait pas de réponse à la question : « A qui dois-je d'être né ? »

Vous connaissez la quatrième critique, c'est l'exclusion des femmes seules et des couples de femmes de la PMA avec don fondée sur l'idée du traitement. En fait, en aucun cas le recours à un don n'est un traitement de la stérilité. C'est un arrangement social, dans lequel un couple où l'un peut procréer et l'autre non s'adresse à une troisième personne qui va donner de sa capacité procréatrice, afin de permettre à ce couple d'avoir un enfant. La médecine apporte son aide. Si le don est un don d'ovocytes, il est indispensable que la médecine intervienne. Quand c'est un don de sperme, des personnes se passent de la médecine, vous le savez. Je parle de don d'engendrement, c'est-à-dire que c'est le couple d'intention qui va engendrer. En revanche, le donneur n'engendre pas. C'est bien parce que c'est un arrangement social que les lesbiennes ont pu se dire : « Pourquoi pas nous ? » Ce n'est pas en rapport avec la procréation.

Le fait que les familles homoparentales soient visiblement issues d'un don pose la question : « Quel accueil notre société est-elle prête à faire aux familles issues de dons en général ? » Quand elles sont construites par des couples de femmes, le recours au don est évident. D'ailleurs, on ne cache jamais à l'enfant son histoire, tout est sous ses yeux. À cette occasion, allons-nous considérer que seules ces femmes ayant recours au don formeraient des familles issues de don ? Au contraire, allons-nous nous saisir de cette occasion pour avoir un débat sur les familles issues de dons en général et revenir sur les cinquante années pendant lesquelles nous avons organisé des familles issues de dons par des parents hétérosexuels ? La question peut être posée de la façon suivante : un État qui organise des dons et rend possibles des familles issues de dons doit-il ou pas faire une place à ces familles ? Doit-il continuer, comme c'est le cas jusqu'à présent, sous prétexte de vie privée, à les contraindre à une sorte de silence et de secret ? C'est le grand débat autour de la filiation.

À partir de là, je présente les trois solutions dans l'ordre de leur apparition. D'abord, c'est la solution « filiation du titre VII », avec présomption de comaternité et reconnaissance. Je détaille beaucoup cette proposition parce qu'elle est peu connue. Comme je l'ai dit, elle n'avait pas été retenue par le gouvernement dans l'avant-projet de loi. Pour les couples hétérosexuels, nous comprenons que les choses sont maintenues en l'état. Pour les couples de femmes, c'est la proposition de comaternité et de reconnaissance. Je détaille ce que veulent dire ces mots, afin de montrer qu'il ne s'agit en aucun cas d'étendre la présomption de paternité et la reconnaissance aux couples de femmes. Ce n'est pas une extension du droit commun, comme nous pouvons l'entendre dire quelquefois. La présomption de comaternité et la reconnaissance sont des présomptions d'engagement de consentement au don ou de déclaration de consentement au don. C'est donc différent de la présomption de paternité et de la reconnaissance pour les hommes. Il s'agit bien de deux modalités d'établissement de la filiation spécifiques aux couples de femmes. D'ailleurs, c'est très visible, parce que, dans les propositions faites en ce sens, il est toujours précisé que, par exemple pour faire une reconnaissance, la compagne de la mère devrait présenter à l'officier d'état civil le consentement au don, qui n'a évidemment aucune espèce d'équivalent avec le fait qu'un homme aille reconnaître un enfant. C'est donc une modalité spécifique. De là, le débat sur le titre VII et le titre VII bis.

Au moment des auditions de la mission parlementaire, les tenants envisagés de cette solution étaient ceux du titre VII bis. C'est ce qu'avait dit Mme Laurence Brunet devant la mission. Aujourd'hui, nous irions plutôt vers un titre VII qui rendrait beaucoup moins visible le fait qu'il s'agisse d'une proposition spécifique aux couples de femmes. La question centrale que pose cette première solution concerne finalement le rapport entre présomption de maternité et reconnaissance qui sont donc présomption ou déclaration de consentement au don. Quel rapport établir et comment l'inscrire dans un titre ? Soit nous faisons un titre VII bis et une filiation à part pour les couples de femmes, soit nous mettons ceux-ci dans le titre VII, mais alors, que faisons-nous au titre VII ? Le Conseil d'État l'évoquait dans son avis. Faut-il revoir l'économie générale du titre VII ? C'est le grand sujet. Il y a deux points de vue. Certains soulignent que la création de cette filiation ne touche en rien aux droits des hétérosexuels, mais si nous assumons de faire cohabiter dans le titre VII deux filiations aux fondements profondément différents, nous pouvons nous interroger sur le sens de cette différence. Au contraire, certains disent qu'il n'y a pas d'hétérogénéité car toute filiation repose sur la volonté. C'est une version qui est défendue par certains contempteurs de la filiation charnelle, qui la trouvent « biologisante » et pensent et qu'il faut aller vers une réécriture globale du titre VII. Je n'ai pas le temps de développer, mais l'enjeu du débat n'est rien de moins que la filiation du titre VII.

À partir de là, je développe la deuxième solution apparue historiquement, à savoir celle de faire un droit véritablement commun à l'ensemble des parents ayant recours au don, en créant entre la filiation charnelle du titre VII et la filiation adoptive du titre VIII une troisième voie, celle de la filiation par déclaration anticipée de volonté. Elle correspond au fait que faire une famille en recourant à un tiers donneur n'est ni procréer un enfant ni adopter un enfant. C'est un cas particulier qui se développe beaucoup aujourd'hui. Du point de vue des enfants, les deux parents ne sont pas les géniteurs. Ils ont un géniteur quelque part qui n'est pas leur parent et c'est une situation particulière, que la société doit intégrer. Je développerai cette solution plus tard, mais sa signification principale est de passer du modèle « ni vu ni connu, on cache le don, on l'organise, on le dissimule, etc. » à l'idée, au contraire, d'accueillir les familles issues de dons dans notre droit, en reconnaissant la démarche des parents, c'est‑à‑dire le fait qu'ils se sont engagés dans un projet parental. Le cœur de la filiation devient le projet parental. C'est engagement pris de devenir les parents de l'enfant lorsque l'on consent au don. Le fondement de la filiation est l'engagement parental solidaire des deux parents ayant recours au don et il n'est pas différent selon que ce couple soit de sexe différent ou de même sexe. Évidemment, cette solution serait inscrite à l'état civil intégral de l'enfant, comme toutes les filiations, comme le sont aujourd'hui la reconnaissance, l'adoption, etc. Elle permettra que le droit ne soit plus l'organisateur du secret de famille, du secret d'État. Si les personnes veulent mentir, elles pourront le faire, comme l'ont fait les adoptants autrefois, alors qu'évidemment, le jugement de l'adoption était mentionné dans l'acte intégral d'état civil, mais cela deviendra leur problème et ce ne sera plus une option de l'État.

La dernière solution est évidemment la plus importante pour vous, à savoir celle retenue dans le projet de loi. Dans ma contribution, je défends l'idée qu'il faut revenir sur tout cela afin de comprendre que le projet de loi est un mélange des deux propositions précédentes qui sont arrivées ainsi dans l'agenda. De la première proposition, c'est-à-dire présomption de comaternité et reconnaissance, il garde la filiation du titre VII pour les hétérosexuels. De la deuxième, il garde l'idée d'une filiation sur déclaration de volonté, fondée sur l'engagement parental. La cohérence de chacune des deux solutions précédentes est défaite, d'où la discussion que nous pouvons avoir sur le sens profond du projet de loi. D'un côté, il se rattache à ce que j'appelle « un nouveau modèle de responsabilité » consistant à assumer qu'il existe des familles issues de dons, à les accompagner et à inscrire en droit cette possibilité à travers la création d'une filiation par engagement parental. Beaucoup d'éléments du projet vont dans ce sens : ouverture de la PMA à toutes les femmes, accès aux origines et évidemment, filiation par déclaration de volonté. En même temps, d'une autre façon, le projet de loi dit le contraire. Il reste dans le modèle « ni vu ni connu », même si c'est uniquement pour les hétérosexuels.

Le débat porte donc sur le fait de savoir si le projet est un compromis raisonnable ou s'il est une construction traversée de telles tensions qu'il va au contraire susciter de la grogne, des désaccords et de la colère. C'est le point qu'il vous revient d'apprécier. Pour ma part, je dis que ce projet n'est pas un compromis raisonnable, parce qu'il maintient deux logiques : la logique ancienne où l'on cache le don, et la logique nouvelle où on l'assume, et que ces deux logiques sont incarnées par la séparation des familles : pour les hétérosexuels, c'est la logique ancienne, on cache le don, il ne s'est rien passé, etc. ; pour les homosexuels, c'est la logique nouvelle de responsabilité. Cette séparation des familles choque profondément. Au moment même où nous voulons intégrer les familles monoparentales, nous donnons le sentiment que nous allons les ségréguer. La deuxième raison est qu'il n'est pas raisonnable de ne pas accorder aux enfants de parents hétérosexuels le même accès à leurs origines que les enfants de parents homosexuels, au moment même où l'ouverture de cet accès aux origines est la dimension capitale du sens du projet de loi.

Il serait plus raisonnable de revenir à ce qui avait été l'une des deux options du gouvernement dans son avant-projet, soumis au Conseil d'État, à savoir une filiation par déclaration anticipée de volonté pour tous les parents recourant à un don, sans distinction selon leur identité sexuelle, etc. Le Conseil d'État a valorisé cette proposition, mais il a conseillé de garder une filiation charnelle pour les hétérosexuels, afin qu'ils puissent ne pas dire à l'enfant qu'il est né d'un don. C'est la raison donnée trois fois dans l'avis du Conseil d'État. Vous devez donc trancher une question lourde de sens : privilégiez-vous le droit des enfants à connaître leur histoire, à ce qu'ils n'aient pas une filiation mensongère, à pouvoir accéder à leurs origines, ou privilégiez-vous pour les hétérosexuels uniquement la possibilité, au nom de la vie privée, de mentir à l'enfant avec l'aval du droit qui en ferait prétendument des parents biologiques ?

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