Intervention de Anne-Marie Leroyer

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 11h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Anne-Marie Leroyer, professeure de droit privé et sciences criminelles à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Madame la Présidente, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je suis très honorée d'être ici devant vous. Je vous ai transmis une note relative à l'examen de la disposition relative à la filiation au prisme du contrôle de constitutionnalité. Je m'étais interrogée sur les arguments actuellement développés relatifs au respect de la vie privée, à la rupture de l'égalité et à la protection des intérêts de l'enfant. Je n'ai pas le temps de les développer, mais si vous le souhaitez, nous y reviendrons dans les questions.

Vous l'avez compris, nous nous sommes intéressées – moi en tant que civiliste et spécialiste des questions de filiation – aux fondements des modes d'établissement de la filiation. Dans le débat, nous voyons trois possibilités d'établissement de la filiation qui ont été rappelées par Mme Théry. La première possibilité est d'étendre la présomption de paternité et la reconnaissance, en les adaptant aux couples de lesbiennes et non aux femmes célibataires recourant à un don, dont la filiation serait établie par l'accouchement. C'est la première possibilité et pour les couples hétérosexuels recourant à un don, c'est la possibilité qui avait été choisie en 1994, pour une raison expressément dévoilée dans les travaux préparatoires de la loi : la nécessité de protéger la vie privée des parents et de dissimuler la stérilité. C'est là que surgit dans le débat actuel l'argument du respect de la vie privée.

La deuxième possibilité consiste à créer une modalité d'établissement de la filiation qui serait commune à tous les enfants issus d'un don. Cette possibilité conduit à admettre que nous consacrons un fondement de la filiation qui reposerait sur la volonté pour tous les enfants issus d'un don. Ce serait un engagement des parents, que l'on consacrerait par le vocable « déclaration de volonté », qui s'apparente à une modalité que nous connaissons, la reconnaissance, mais qui s'en détache, parce que la reconnaissance est fondée sur une présomption de vérité biologique.

La troisième possibilité consisterait à créer une modalité spécifique, que le projet consacre.

Un point me paraît central dans les débats et résume la note que je vous ai transmise : c'est la question de la vie privée. La projection de la vie privée est l'argument qui surpasse tous les autres arguments, y compris, curieusement, la protection des intérêts supérieurs de l'enfant. L'argument de la protection de la vie privée intervient à propos de la mention à l'état civil de la déclaration de volonté, qui révèle le don. Nous ne pouvons pas feindre de croire que la mention à l'état civil de la déclaration de volonté ne révèle pas l'existence du don, au moins indirectement. C'est évident et il faut l'admettre.

Se pose alors la question suivante : qu'elle soit spécifique ou commune, la disposition qui consacrerait une déclaration de volonté a-t-elle pour objet direct de révéler le don ? C'est un argument que le Conseil constitutionnel avait utilisé à propos de la mention du jugement d'adoption en marge de l'acte de naissance. Le Conseil constitutionnel a dit : « L'objet direct de la loi est d'établir la filiation, pas de révéler l'existence du jugement d'adoption. » Le raisonnement pourrait être identique ici. L'objet direct de la loi est d'établir la filiation, pas de révéler le don à l'enfant. C'est une comparaison que nous pouvons faire.

Néanmoins, il est évident qu'il y a une révélation indirecte. Si nous continuons à réfléchir au respect de la vie privée des parents et de l'enfant – qui est quand même la question centrale du dispositif –, nous devons nous intéresser à la publicité de l'acte de naissance. Qui peut consulter l'acte de naissance ? Qui peut en avoir communication ? La vie privée des parents et de l'enfant est-elle suffisamment protégée par les modes de communication actuels de l'acte de naissance ? Si nous admettons qu'il y a une protection suffisante de la vie privée par la communication de l'acte de naissance aux seuls intéressés, à savoir les parents, l'enfant et le juge en cas de conflit sur la filiation, alors il n'y aura pas d'atteinte à la vie privée par la mention dans l'acte de la déclaration anticipée de volonté. En effet, lorsqu'il a été saisi de la loi sur le pacte civil de solidarité, où il était question de l'enregistrement du pacte civil de solidarité devant le tribunal d'instance, sur la question de savoir si cela portait atteinte à la vie privée des intéressés en révélant leur orientation sexuelle, le Conseil constitutionnel a dit : « Il n'y a pas d'atteinte à la vie privée, dans la mesure où les modalités de communication aux tiers sont suffisamment encadrées. » Il ne s'agit donc pas ici de savoir s'il y aura une révélation à tout le monde du mode de conception de l'enfant. Si elle était posée devant le Conseil constitutionnel aujourd'hui, la question serait plutôt : dans la loi ou de façon organisée, par décret, y aura-t-il des garanties suffisantes permettant de protéger la vie privée des parents et la vie privée de l'enfant en ce qui concerne les possibilités de communication de l'acte de naissance et de sa consultation par des tiers ? En l'état actuel du texte, la réponse est négative.

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