Intervention de Coralie Dubost

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 11h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCoralie Dubost, rapporteure :

Je vous adresse d'abord un grand merci pour vos travaux, parce que cela fait des années que vous travaillez sur ces questions, que vous militez dessus. C'est une forme de militantisme intellectuel, mais c'est un militantisme noble, notamment sur cette question passionnante de la culture du secret et de l'accès aux origines. Dans le projet de loi, elle est plutôt abordée dans l'article 3 et j'avoue me poser énormément de questions sur le fait d'user de l'établissement de la filiation, donc de l'article 4, pour poser des options sur ce qui devrait être dans l'article 3, puisqu'il prévoit pour la première fois une levée d'anonymat, au moins partielle, en France, sur l'identité des donneurs à la majorité de l'enfant, dans l'intérêt de l'enfant – qui est la quête du droit à l'identité, à l'histoire du secret de ses origines.

La perspective historique que vous avez donnée de façon convergente en matière de filiation du titre VII et du titre VIII était intéressante. J'y ai noté un grand décalage avec d'autres auditions où nous avons entendu d'autres théories et d'autres interprétations. Je voudrais apporter une précision liminaire sur l'enjeu des titres VII et VIII. Il n'y a pas de concurrence ou d'inégalité dans l'effet de la filiation, des droits et devoirs pour les parents et l'enfant, entre la filiation du titre VII et celle du titre VIII. En revanche, il y a un rapport de subsidiarité du titre VIII au regard du titre VII car le titre VIII, celui de l'adoption, intervient dès lors que les responsables de la venue au monde de l'enfant sont soit défaillants, soit absents. C'est cette défaillance ou cette absence qui entraîne la mise en œuvre du titre VIII.

Sans parler de « droit commun », qui est effectivement une expression courante, nous pouvons dire que la filiation principale est plutôt celle du titre VII, qui a longtemps été charnelle, comme le disait le doyen Carbonnier, tout simplement parce qu'avant le XXe siècle, nous avions peu de méthodes d'aide à la procréation. La science a bousculé le droit et les débats de 1973 et 1994 sont très intéressants à ce titre. Pour autant, il est possible de considérer que le titre VII est fondé sur une vérité biologique et j'entends que vous n'êtes pas d'accord avec cela. Il me semble que la vérité biologique du titre VII est essentiellement une vérité contentieuse. C'est le fait qu'il y ait des contestations de paternité et des recherches en paternité depuis les années 1950 qui a conduit à établir la biologie comme reine des preuves, celle qui a facilité le contentieux. Ce n'est pas tant le fondement de la filiation, mais le contentieux de la filiation qui pose aujourd'hui question, puisque cela s'est généralisé, alors que, dans le même temps, se sont ouvertes de nouvelles techniques de procréation qui s'éloignent de la « vérité biologique ». La vérité biologique ne coïncide plus avec le caractère charnel qui était le présupposé du titre VII, bien qu'il ne soit affirmé nulle part. Vous l'avez bien dit dans vos interventions, il n'y a pas d'adjectif qualifiant la filiation du titre VII dans le code civil. Cela laisse entendre que ce titre pourrait concerner tous les cas possibles. Nous avons entendu certains plaider la filiation comme volonté.

J'entends que vous plaidez d'une part la volonté et alternativement une procréation charnelle et que l'une n'empêcherait pas forcément l'autre. Je trouve cette analyse très intéressante en ce qu'elle nous dit que nous pouvons avoir plusieurs fondements de la filiation. Parfois, ce qui est responsable de la venue au monde de l'enfant est une procréation charnelle et parfois, c'est un engagement volontaire ; parfois, les deux se superposent et parfois non. Si nous n'avons ni l'un ni l'autre, le titre VIII permet de pallier les défaillances des deux premières. En 1994, le législateur était dans la culture du secret. Il y était tellement que c'est écrit dans l'article 311-20 du code civil. Or, en 2020, alors que nous ouvrons le droit à l'accès aux origines, trouvez-vous pertinent de garder inscrit noir sur blanc dans notre code : « Les époux ou les concubins qui pour procréer recourent à une assistance médicale nécessitant l'intervention d'un tiers donneur doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement à un notaire qui les informe des conséquences de leurs actes au regard de la filiation » ? Cela les engage et c'est une filiation volontaire, d'engagement, de volonté, beaucoup plus solide que les filiations par présomption de paternité qui peuvent être contestées. La filiation de l'article 311-20 du titre VII, celle des couples hétérosexuels qui entament une assistance médicale à procréation, ne peut plus être détruite sur une preuve biologique une fois qu'elle a été consentie. Elle ne peut être contestée que si l'on prouve que l'enfant n'est pas issu de la PMA, mais d'une autre relation et qu'il existe donc d'autres responsables de la venue au monde que ceux qui se sont engagés chez le notaire par un consentement au don.

Vos interventions étaient intéressantes parce que nous nous retrouvons avec une question. J'entends le lien social, mais je pense également au lien de droit. Je crois que le lien de droit est exclusif de façon binaire, en tout cas à ce jour dans notre code civil, tandis que le lien social peut éventuellement être plus large. Cela pose donc la question de savoir si nous devons ouvrir le lien de droit plus largement qu'une simple bilinéarité, mais ce n'est pas le champ de la loi de bioéthique. Toujours est-il que sur ce lien de droit exclusif à ce jour, d'un côté une filiation maternelle et de l'autre côté une filiation paternelle, il est question aujourd'hui de donner deux filiations maternelles.

Comme vous l'avez souligné, Madame Leroyer, je ne crois pas que le modèle de la présomption de paternité soit idéal pour établir une deuxième filiation maternelle. Cet engagement de volonté de la deuxième femme dans le couple doit-il nous amener à consacrer une filiation dans le titre VII ou dans un titre à part réservé aux homosexuels ou à tous ceux qui font le don, concomitamment à ce besoin des origines ? Pouvons-nous garder la filiation maternelle classique, qui est le fait de la femme qui accouche ? Aujourd'hui, pouvons-nous assumer de dire que la mère est celle qui accouche et qu'il existe, à égalité, une autre filiation maternelle qui est celle de l'engagement de volonté ? La question est là. Jusqu'à ce jour, nous avons évité de nous la poser, notamment au contentieux, en nous reposant sur la vérité biologique et la preuve ADN, mais la question qui se pose à nous et avait été introduite incidemment par le législateur en 1994 est : qu'en est-il de la filiation par engagement volontaire ? Quelle force a-t-elle par rapport à ce que les siècles précédents avaient porté de supposé charnel en vérité biologique ? Est-il pertinent de hiérarchiser la responsabilité de la venue au monde de l'enfant, selon qu'elle est par procréation-engendrement ou par volonté-engendrement ? Pensez-vous qu'au contraire il est pertinent en droit de les mettre à égalité ?

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