Intervention de Irène Théry

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 11h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Irène Théry, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) :

Je voudrais lever un malentendu qui me paraît très important. Le problème posé n'est pas celui d'une filiation fondée sur la sexualité. Par exemple, que les parents aient fait l'enfant sous la couette ou qu'ils aient recouru à une éprouvette, le droit n'a absolument pas à en savoir. Je le dis, parce que dans l'avis du Conseil d'État, vous pourrez remarquer qu'à un moment, on oppose la procréation sexuelle et la procréation par PMA. Il faut bien savoir que 95 % des PMA sont homologues. La question consiste à savoir si les parents sont les deux géniteurs de l'enfant ou s'il y a eu l'intervention d'une troisième personne. L'engendrement est-il un engendrement à deux ou à trois ? C'est ce qui, dans l'organisation d'une famille, explique que l'enfant est là : il a des parents, il n'y a aucun doute, mais il y a aussi un donneur dans sa vie.

Il y a un certain rapport entre l'établissement de la filiation et l'accès aux origines. Nous ne pouvons pas les confondre, puisque par définition, accéder à ses origines est accéder à quelqu'un qui ne peut pas être un parent. De ce point de vue, les lois de 1994 ont été claires : en aucun cas, un donneur ne peut être transformé en parent. Il ne veut pas l'être et ne le sera jamais. Ce n'est pas le sens humain de ce qu'il a fait et le droit l'empêche. Les personnes qui cherchent leurs origines disent qu'ils ont des parents, mais qu'ils sont là, parmi nous, parce qu'une tierce personne est intervenue et leur a permis de naître. Cette personne n'est pas de la famille, mais vous le savez, il y a des interdits avec elle. Par exemple, on ne permet de faire naître que dix enfants d'un donneur, parce que l'on redoute de toucher à quelque chose qui aurait à voir avec l'inceste. Ce serait en fait de la consanguinité, mais cela aurait à voir à l'inceste. Il est donc important de comprendre que nous avons une façon nouvelle de faire famille qui s'est développée. Elle a maintenant un demi-siècle et ce n'est pas la famille traditionnelle fondée sur la procréation du couple – ce qui est l'immense majorité des cas et qu'il ne faut pas du tout disqualifier. Pour nos concitoyens, faire un enfant est souvent la chose la plus importante de leur vie. Procréer n'est pas un fait biologique, mais un fait social, un engendrement. C'est pour cela que le droit indique le rapport entre cette procréation et l'engagement de filiation, mais adopter un enfant est considéré à égalité en dignité, en droit et en valeur. Désormais, il y a une troisième façon de faire une famille. Cette troisième façon se voit déjà, quand dans les jardins publics, les crèches, etc., des couples de femmes viennent avec leurs enfants. Tout le monde comprend bien qu'elles sont les deux mères et qu'il y a eu recours à un tiers donneur.

Pour le moment, nous faisons comme si les hétérosexuels n'avaient pas formé des familles autour de dons depuis 50 ans, comme s'il n'y avait pas près de 100 000 enfants qui en étaient nés. Leur faisons-nous une place ? Ce que j'appellerai comme Caroline Mécary « la boussole du législateur » ne peut être que les droits de l'enfant.

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