Intervention de Pr. Catherine Poirot

Réunion du mercredi 4 septembre 2019 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Pr. Catherine Poirot :

Je suis biologiste de la reproduction et je travaille en préservation de fertilité à l'hôpital Saint-Louis. Le GRECOT a commencé avec un groupe de personnes qui s'est intéressé à une publication sortie en 1994 par l'équipe du professeur Gosden, à Leeds. Celle-ci montrait pour la première fois qu'après congélation et greffe de cortex ovarien chez la brebis, il était possible d'obtenir un petit agneau. Compte tenu de la similitude entre l'organisation et la structure histologique des ovaires de brebis et humain, il nous a semblé que cette technique pouvait être transposable à l'espèce humaine pour préserver la fertilité des femmes, sujet qui commençait à émerger. La congélation de spermatozoïdes se faisait depuis 1972, et préserver la fertilité devenait un vrai sujet chez les femmes. Ce groupe se réunissait régulièrement, et les perspectives ouvertes à la technique de conservation de tissu ovarien ont amené le GRECOT à s'organiser en société savante en 2006. Nous avons ajouté un « T » à notre nom pour le tissu testiculaire du petit garçon prépubère.

Le GRECOT est une société qui réunit des médecins et des biologistes de la reproduction, mais aussi d'autres spécialités, notamment des hématologues et des oncologues, parce que nous nous sommes très vite aperçus que nous ne parlions pas forcément toujours de la même chose et que nous avions besoin des uns et des autres pour aboutir à quelque chose de cohérent. L'une des missions du GRECOT consiste à colliger, sur la base du volontariat, les congélations d'ovaires et de tissu testiculaire réalisées en France. Nous avons mis aussi en place un fichier des greffes d'ovaire. Ces données sont restituées chaque année lors de notre journée nationale scientifique. Ce sont des données que personne n'a à sa disposition, pas même l'Agence de la biomédecine, avec qui nous travaillons pour mieux nous articuler,.

Pourquoi faut-il apporter des modifications à la loi de bioéthique ? D'une part pour améliorer la qualité de vie des patientes. C'est la raison pour laquelle est formulée la demande de pouvoir utiliser le tissu ovarien, et éventuellement le tissu testiculaire – mais c'est surtout le tissu ovarien qui est important ici –, pour rétablir une fonction endocrine et pas seulement pour rétablir une fertilité. Cette demande a trouvé une réponse dans le projet de loi. Nous avons aussi jugé que compte tenu des perspectives d'utilisation de ces tissus, il fallait autoriser des programmes de recherche sur les tissus germinaux de patients décédés, pour améliorer leurs conditions d'usage et tenir notre rang dans la compétition avec les autres équipes internationales.

La seule technique d'utilisation du tissu ovarien conservé qui a permis la naissance d'enfants est la greffe du cortex ovarien. Malheureusement, toutes les femmes ne peuvent pas accéder à cette technique, notamment celles qui ont eu des leucémies, parce qu'il existe un risque de présence de cellules leucémiques à l'intérieur des tissus germinaux, donc un risque de réintroduire la maladie lors de la greffe. Notre fichier GRECOT montre que 40 % des femmes qui ont une pathologie hématologique et qui bénéficient d'une conservation d'ovaires ont une leucémie. Il y a donc un vrai enjeu pour les patientes. La problématique est la même pour le petit garçon au regard des greffes de tissu testiculaire. Dans notre fichier GRECOT, 51 % des patients à qui nous faisons une conservation de tissu testiculaire présentent une leucémie.

Il est absolument impératif d'étendre le champ d'utilisation des tissus germinaux. Les objectifs sont multiples : permettre à plus de patientes d'accéder à la greffe d'ovaires, notamment par l'étude de la maladie résiduelle à l'intérieur des fragments d'ovaire ; mettre en place d'autres techniques comme la croissance de follicules ovariens in vitro – les « ovaires artificiels » – pour s'affranchir du risque de réintroduction de la maladie lors d'une greffe de tissu ; mettre au point de même des spermatogénèses in vitro, etc. Pour explorer ces pistes de recherche, il faut disposer de tissus germinaux. C'est extrêmement compliqué à obtenir chez des patients vivants. Il nous paraîtrait vraiment important de pouvoir utiliser les tissus germinaux de patients décédés. Le protocole de recherche qui nous a permis de congeler du tissu ovarien a été mis au point à Limoges. À l'époque, le comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) de Limoges avait demandé à ce que les consentements incluent un chapitre disant : « si vous n'avez plus besoin de votre tissu germinal ou en cas de décès, souhaitez-vous qu'il soit utilisé pour la recherche ou que la conservation soit arrêtée ? ». La majorité des patientes adultes et des parents autorisaient l'utilisation de ce tissu germinal pour la recherche en cas de décès. Mais la loi nous empêche d'utiliser ces tissus et, en quelque sorte, de respecter la volonté des patients : l'article L. 1211-2 du code de santé publique dit que toute utilisation des tissus ou cellules germinaux à des fins autres que celles du prélèvement initial – c'est-à-dire la préservation de fertilité – est interdite en cas de décès de l'intéressé.

Nous comprenons de l'article 22 qu'il ouvre la possibilité de faire de la recherche sur les gamètes, mais pas sur les tissus germinaux. Nous sommes ici aujourd'hui, principalement, pour voir s'il est possible de faire évoluer ce point.

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