Nous pouvons imaginer qu'il a été fantasmé que les cellules germinales permettaient de créer de petits êtres vivants, ce qui n'est pas le cas des autres tissus. Je pense que c'était ce que législateur avait à l'esprit au moment où cet article a été écrit. Nous avons montré qu'il était possible d'obtenir des enfants vivants après réimplantation de tissu ovarien prélevé chez de jeunes femmes pubères et chez une jeune femme en phase péripubertaire. Pour le moment, il n'y a pas eu de preuve de concept avec des tissus ovariens prélevés chez des petites filles plus jeunes. Le champ de recherche est encore ouvert, y compris chez le sexe féminin, pour les enfants prépubères.
Le tissu germinal inclut, outre les cellules gonadiques qui permettent d'aboutir à un enfant vivant, d'autres cellules dont certaines peuvent être des cellules de la maladie résiduelle. La réimplantation de tissu germinal contenant des cellules malades est susceptible de réintroduire cette maladie. Chez l'humain, cela reste une hypothèse. Nous savons que cela existe chez l'animal : nous avons pu réintroduire des leucémies en greffant du tissu testiculaire chez le rat ou en greffant des cellules gonadiques féminines chez des rongeurs de sexe féminin. Chez l'humain, cette question est très prégnante, d'autant que la technique est ancienne : on prélève du tissu gonadique à visée de préservation de la fertilité chez les petites filles et les jeunes filles atteintes de leucémie depuis 1999. Les premiers prélèvements pouvant avoir lieu vers l'âge de 5 ans, ces jeunes femmes ont environ 25 ans aujourd'hui. Elles viennent demander une restauration de leur fertilité, parce cette séquelle de la greffe est extraordinairement invalidante, blessante, impactant la qualité de vie. Elles demandent aux médecins de la procréation comme à leur hématologue greffeur de restaurer leur fertilité. Tout ce que nous pouvons leur répondre à l'heure actuelle, c'est que nous avons des doutes. Peut-être y a-t-il de la maladie dans les fragments ovariens, peut-être n'y en a-t-il pas. S'il y en a, peut-être que cela peut réintroduire la maladie, ou peut-être pas. S'il nous paraît si important de pouvoir évaluer le risque de maladie résiduelle dans les fragments ovariens ou testiculaires, c'est pour pouvoir dire à nos patientes que l'on prend le risque, ou pas, et que l'on réimplante, ou pas. Pouvoir apporter cette réponse est essentiel. À l'heure actuelle, nos patientes nous disent : « on a compris qu'il y a peut-être un risque, mais on veut y aller quand même ». Il nous extraordinairement difficile d'accéder à leur demande – ou de la leur refuser – puisque nous ne savons pas évaluer ce risque. Évidemment, utiliser du tissu gonadique de nos patients et patientes vivantes, c'est les en priver une fois que nous aurons la réponse. En accédant à du tissu gonadique de patients décédés, nous ne privons ceux-ci de rien et nous pourrons apporter des réponses aux patients vivants.
J'entends la difficulté d'utiliser du tissu de patients décédés, singulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants, mais tous les parents ont entendu parler du risque de décès, du risque de rechute. Ils le savent, et c'est d'ailleurs écrit dans le consentement à la greffe. Bien sûr, ils peuvent ne pas « l'entendre » au moment où ils signent l'autorisation : il y a des choses qui ne sont pas entendables à ce moment-là, tellement c'est épouvantable, mais il n'empêche que c'est écrit noir sur blanc. Pouvons-nous imaginer un deuxième consentement le jour où nous voudrions utiliser les tissus ? Pourquoi pas. Pour revoir des parents endeuillés, je sais qu'ils réclament souvent de participer au développement de la recherche, au développement des connaissances, et de rendre ainsi service aux suivants.