J'interviens en ma qualité de praticienne puisque je pratique le droit de la famille et, partant, les problématiques de filiation, mais également les problématiques d'autorité parentale au sein de tous les couples, hétérosexuels ou homosexuels. Ma pratique me permet de constater les immenses difficultés où nous nous trouvons depuis de nombreuses années parce que les faits sont têtus : les enfants élevés par un couple de femmes ayant été conçus via une procréation médicalement assistée (PMA) existent – je vis à Montpellier et Barcelone n'est pas loin – et jusqu'à présent, le droit n'accompagne cette réalité. Les difficultés sont de plusieurs ordres : d'abord dans l'institution de la filiation et ensuite dans l'exercice de l'autorité parentale. Dans ces couples de femmes, la mère, celle qui a porté l'enfant, est titulaire de l'autorité parentale. Mais celle qui s'est engagée avec elle dans ce projet, qui élève aussi cet enfant, n'a aucun droit – sauf en cas d'adoption depuis la loi sur le mariage pour tous (ou de délégation d'autorité parentale si on est parvenu à la faire) –, si ce n'est celui d'être là, soumise au bon vouloir de la seule titulaire de l'autorité parentale.
D'où d'immenses difficultés qui nous renvoient – j'ai coutume de le dire chaque fois que je plaide ce type de dossiers – aux contentieux des années 1960 : les droits n'étant pas reconnus et la loi ne régulant pas ces situations, on se retrouve avec l'état d'esprit qui était celui des couples hétérosexuels antérieurement aux lois de 2000, de 2002, de 2004, c'est-à-dire que l'un des deux parents est « propriétaire » de l'enfant et l'autre n'est rien. Cela suscite des conflits qui n'ont pas lieu d'être au regard de ce qu'est devenue la société et de l'intérêt de l'enfant. Il y a donc un besoin de droit, qui débute à l'établissement de la filiation. Dans la note liminaire que je vous ai adressée, j'ai insisté sur ce qui a été jusqu'à présent l'un des fondements du droit de la filiation en France : l'effacement. En 1804, on efface l'enfant adultérin – il attendra d'ailleurs presque 2010 pour obtenir des droits successoraux égaux –, on efface ensuite les origines de celui qui est adopté et puis en 1994 – ce n'est pas moi qui l'ai écrit, c'est Mme Dekeuwer-Défossez – « c'est au moment où enfin la paternité devient certaine que les pratiques d'assistance médicale à la procréation, notamment les dons de gamètes ou d'embryons, ont entrainé la création légale de fausses filiations biologiques. Un véritable mensonge a été institué par le code civil. »
Aujourd'hui, les enjeux du projet de loi sont bien évidemment l'ouverture de la PMA aux femmes, mais aussi, dans l'institution de la filiation, la sortie de cet effacement afin de permettre aux enfants de connaître leurs origines. C'est pour cela que la déclaration anticipée de volonté pour tous me paraît être une excellente solution : au moment d'ouvrir la PMA aux femmes, on prend acte aussi de ce que l'évolution de la société fait que l'on ne peut plus la bâtir sur l'effacement et sur le mensonge – c'est le terme qu'emploie Mme Dekeuwer-Défossez. C'est la raison d'être des associations de personnes nées de PMA, qui l'ignoraient et qui ont eu – et ont encore – beaucoup de difficultés à trouver la vérité de leur histoire. Il ne s'agit pas pour eux de chercher un parent, mais de clore cette parenthèse vide dans leur histoire. L'histoire de chacun, c'est essentiel à la construction de tous. Tous les enfants en ont besoin, qu'ils soient nés au sein d'un couple hétérosexuel ou au sein d'un couple homosexuel. Il n'y a aucune raison de prévoir un mode d'établissement de la filiation pour les couples homosexuels et d'en prévoir un autre pour les couples hétérosexuels. Au nom de quoi le ferait-on ? Le maintien de la filiation pseudo-charnelle ? Nous n'en sommes plus là.
Le législateur doit acter ce dépassement. Par l'effacement, on cache le don alors que le don, ce n'est pas rien. Le don doit être reconnu et être valorisé. De la même façon, être parent parce que l'on s'engage ensemble à élever un enfant, c'est essentiel. Cet engagement va fonder la filiation pour l'enfant qui, dès sa naissance va être institutionnellement l'enfant de ses deux parents, deux femmes, un homme et une femme, peu importe. On doit donc accompagner l'ouverture de la PMA d'une réforme majeure de l'établissement de la filiation par laquelle la déclaration anticipée de volonté permettra aux enfants d'être d'emblée, sur la base de cet engagement et en reconnaissant le don dont il est issu, l'enfant de ces deux parents, quel que soit le couple qui a eu ce projet parental.