Intervention de Aline Cheynet de Beaupré

Réunion du jeudi 5 septembre 2019 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Aline Cheynet de Beaupré, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l'université d'Orléans :

Tout le monde connaît cette formule de Montesquieu : « il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante ». Je pense que juristes et législateurs sont tous conscients de cette nécessité. Le projet de loi est extrêmement intéressant, extrêmement riche. Sur les parties de bioéthique pure – je vais m'expliquer sur ce terme –, il ouvre des possibilités qui suscitent véritablement une discussion, en échange. Sur le point plus technique de la PMA pour toutes, certaines questions juridiques sont très gênantes – cela a été souligné à l'instant. Nous savons tous ce qu'est la filiation – en tout cas, nous pensons le savoir. Les juristes se sont approprié le droit de la filiation ou sont obligés de le gérer, d'une façon assez technique. Je souhaite donc dissocier bioéthique et droit, plus précisément ici droit de la filiation. D'ailleurs, dans les États généraux qui ont précédé le dépôt du texte, la fin de vie a fait partie des sujets évoqués alors qu'elle n'a jamais fait partie de la bioéthique et que l'on n'a pas inclus – à juste titre – les questions relatives à la fin de vie dans les lois de bioéthique, ni en 1994, ni en 2004, ni en 2011. Dans un parallèle portant sur la question de l'homosexualité, je souligne aussi que le mariage pour tous a été instauré en dehors d'une révision de loi bioéthique puisqu'il a eu lieu en 2013. Je m'interroge sur la pertinence d'introduire aujourd'hui la PMA pour toutes dans une loi de bioéthique. Nous sommes de nombreux juristes, j'en suis ravie – j'attendais la « journée des juristes » –, et je pense que nous allons souligner des dysfonctionnements, des frottements, des manques, des silences.

Il me semble – j'insiste sur le conditionnel de mon propos – qu'il y a eu un changement fondamental entre AMP et PMA. L'AMP est l'assistance médicale à la procréation, système concernant un couple, dans le cadre d'une hétérosexualité et d'une condition pathologique – ou thérapeutique. Avec la PMA pour toutes, on touche au couple puisqu'on ne réserve plus cette technique aux couples, on touche à l'hétérosexualité, puisqu'on ouvre cette technique à l'homosexualité, et on retire purement et simplement le critère pathologique ou thérapeutique. Ce n'est pas donc une extension de l'AMP, mais un changement en profondeur pour arriver à autre chose, la PMA. Les techniques bioéthiques ne sont pas remises en cause – la cryoconservation des ovocytes avait été abordée lors de la dernière révision des lois de bioéthique. Je ne suis pas certaine que les développements que nous pourrons présenter sur la PMA pour toutes soient véritablement à leur place. Je vais peut-être provoquer en disant « il faut faire une réforme du droit de la filiation » : à ce moment-là, on fera appel à des juristes qui ont bien ciselé et décortiqué le droit de la filiation.

L'article 4 montre des conséquences qui ne me semblent pas suffisamment étudiées, notamment sur le contentieux du droit de la filiation. J'ai souligné quelques dizaines d'options, d'interrogations dans mes propos ; je pense qu'il y a au moins le double ou le triple à envisager très rapidement. L'action en recherche de paternité est évincée, c'est pourtant un droit. Il y a des télescopages avec le mariage : un couple de femmes peut être marié, or le mariage, c'est la présomption de paternité de l'article 312 ; ce frottement n'a pas été abordé, me semble-t-il. Certaines terminologies juridiques me gênent ; je connais le mariage, le Pacs, le concubinage, en fait et en droit, mais je ne sais pas ce qu'est juridiquement un « couple de femmes ». Il en est de même de l'expression « femme non mariée » : quand on lit le texte, on comprend qu'il vise ce que Mme Dubost a dit être « l'AMP en solo », mais juridiquement la chose ne correspond pas à la terminologie car une femme non mariée, ce peut être une femme en concubinage, donc en couple.

Il y a des silences sur l'intérêt supérieur de l'enfant, sur l'ordre public – certaines questions heurtent l'ordre public –, sur le changement de sexe des parents (dans un couple de femmes, l'une qui deviendrait homme peut-elle prétendre à la présomption de paternité ?) Il y a donc des heurts, des silences et des inégalités. Les hommes sont exclus, couples d'hommes et hommes seuls sont hors AMP. Après-demain, avec la gestation pour autrui (GPA), on rétablirait l'égalité, mais aujourd'hui il y a inégalité juridique. Il y a aussi inégalité dans les fratries d'enfants issus de l'AMP. D'autres inégalités ont été soulignées, je n'insiste pas. Tout ceci pour dire qu'il y a une dissociation juridique complexe entre le lien juridique de filiation, la réalité biologique, la maternité, la paternité, la parenté. Tout cela pour un juriste, c'est de l'orfèvrerie et il faut faire très attention – un mot n'est pas l'équivalent d'un autre – parce qu'on verra des revendications, des contestations ou alors des reproches que risque de nous faire la Cour européenne des droits de l'homme – je ne me suis pas tournée vers le Conseil constitutionnel. Oserai-je parler de la confusion des genres, un mauvais jeu de mots ? Pour ne pas donner l'impression d'avoir un discours très négatif, je conclus en disant que ce qui fait souvent progresser, ce ne sont pas tant les réponses que les questions que l'on se pose.

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