Le GIAPS que j'ai aujourd'hui l'honneur de représenter est un collectif composé d'universitaires et de chercheurs spécialistes des questions de bioéthique, de droit de la famille et de droit de la santé. Ce groupe a pour objet de promouvoir dans ce domaine des normes égalitaires, égalitaires entre les hommes et les femmes, égalitaires au regard des sexualités, égalitaires au regard des identités de genre. C'est dans cette perspective que nous nous sommes fortement engagés dans le débat sur la révision des lois de bioéthique et que nous vous avons soumis des propositions d'amendements. Fruit d'un travail collectif, ces propositions visent en particulier deux objectifs : la mise en place d'un système de filiation non stigmatisant pour les couples de femmes, et l'inclusion dans le projet de loi de véritables droits reproductifs et familiaux pour les personnes transgenres.
Nous souhaitons en effet mieux assurer l'égalité des familles consécutivement à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes. Lorsqu'en 1994 le législateur a encadré l'AMP avec tiers donneur, il a fait le choix d'intégrer ces familles dans le droit commun de la filiation, c'est-à-dire de considérer que les enfants qui naîtraient de ces dons intégreraient leur famille dès la naissance par opposition au système d'adoption où les enfants intègrent les familles a posteriori. La filiation maternelle est donc restée établie par la mention dans l'acte de naissance du nom de la femme qui accouche et la filiation paternelle est demeurée établie par la reconnaissance ou la présomption de paternité. La seule différence avec le droit général est que lorsque les parents ont donné leur consentement au don, la filiation paternelle devient obligatoire et incontestable alors même que le père n'est pas le géniteur. Le Conseil d'État soulignait à l'époque dans son rapport que cette inclusion de l'AMP dans le droit commun de la filiation découlait non pas de la volonté de dissimuler le don, mais du principe d'égalité entre les enfants. Alors pourquoi faire différemment aujourd'hui pour les couples de femmes ? De nombreuses associations LGBT et féministes sont exprimé devant votre commission les raisons pour lesquelles elles considéraient comme stigmatisante la création d'un droit de la filiation spécifique aux couples de femmes par le biais de la déclaration anticipée de volonté, la DAV. Le GIAPS s'associe à ces critiques politiques, mais nous soulignons surtout les limites juridiques de ce système.
Pourquoi a-t-on écarté le droit commun de la filiation pour les couples de femmes ? Le refus d'étendre aux couples de femmes le titre VII du code civil, qui contient notamment la reconnaissance et la présomption de paternité, a été justifié par le fait que ce titre VII reposerait, je cite, sur la « vraisemblance biologique ». Cette analyse est selon nous erronée dès lors que la volonté et l'engagement ont déjà une place centrale dans l'établissement de la filiation du titre VII. À cet égard, obliger les femmes en couple lesbien à établir une déclaration anticipée de volonté ne valorise pas davantage leur volonté que leur ouvrir tout simplement la présomption de coparenté ou la reconnaissance. Par ailleurs, la création de la DAV nécessite de nombreuses modifications du droit de la filiation et des règles applicables à l'état civil alors qu'étendre aux couples de femmes le droit commun de la filiation des enfants nés de don est techniquement très simple.
Que proposons-nous concrètement ? Un couple de femmes souhaitant recourir à un don devrait faire établir – comme un couple hétérosexuel – un consentement au don devant notaire – nous préconisons d'ailleurs le retour du juge dans cette procédure. Ensuite, la femme qui accouche pourrait faire établir sa filiation par la mention de son nom dans l'acte de naissance ; l'autre femme pourrait, sur simple présentation du consentement au don, reconnaître l'enfant ou faire établir sa présomption de parenté si les mères sont mariées.
Ce système a le mérite de ne pas mélanger conception et filiation et nous voudrions ici souligner que la question de l'établissement de la filiation doit être distinguée de la question de l'accès aux origines qui peut être prévue par ailleurs pour tous les enfants. De plus, ce système ne fait aucune différence entre les familles, suivant l'orientation sexuelle des parents, ou entre les enfants, nés d'un don ou pas. Par ailleurs, en réservant l'extension du droit commun aux seules femmes ayant recours à un don, ce système ne remet en rien en cause le reste du droit de la filiation et notamment son volet contentieux. Si le législateur choisissait ce mécanisme, une question demeurerait à trancher : quel effet accorder au consentement au don reçu à l'étranger ? Nous suggérons ici une distinction entre les consentements reçus en France et les consentements reçus dans d'autres pays.
Vous l'aurez compris, la véritable égalité des familles ne saurait être atteinte que par l'intégration des couples de femmes au droit commun de la filiation.
J'en viens à mon second point. L'impératif d'égalité des personnes doit également nous conduire à ne pas négliger un sujet actuellement ignoré par le projet de loi : les droits des personnes trans. Depuis la loi Justice au XXIe siècle du 18 novembre 2016, il est possible aux personnes trans de faire modifier la mention de leur sexe à l'état civil sans avoir subi d'actes médicaux stérilisants. Il existe donc désormais en droit français des hommes avec un utérus et des femmes avec un pénis et produisant du sperme. Il peut y avoir des hommes enceints et deux hommes ou deux femmes peuvent procréer ensemble. Mais rien n'a été prévu pour en tirer toutes les conséquences, ni en matière d'accès à l'AMP et d'autoconservation des gamètes, ni en matière de filiation.
Nous proposons donc que les traitements médicaux de la transidentité ou le changement de sexe à l'état civil ne soient plus un obstacle à la conservation ou à la restitution des gamètes, que l'ouverture de l'AMP ne se fasse pas au bénéfice des seules femmes au sens juridique, mais plus généralement de toute personne en capacité de porter un enfant, quel que soit son sexe à l'état civil, et enfin que le droit de la filiation permet d'établir la filiation d'une personne dans son genre. Cela permettrait de prendre en compte les personnes trans qui procréent aujourd'hui biologiquement dans un couple homosexuel.
Nul ne doute de la complexité des choix éthiques et politiques auxquels la représentation nationale est aujourd'hui confrontée. Nous pensons que la simplicité et l'uniformité des solutions retenues sont une boussole solide pour les trancher. Pourquoi distinguer là où les situations sont similaires ? Pourquoi inventer de nouveaux dispositifs, complexes, là où il existe déjà des mécanismes pratiques et fonctionnels ? Si les couples lesbiens sont des mères comme les autres, si les personnes trans sont des parents comme les autres, alors pourquoi ne pas les traiter enfin en toute égalité ?