Je suis favorable à l'application du droit commun aux couples de femmes lorsque le recours à l'AMP aura eu lieu en France dans le cadre prévu par le code de la santé publique. La protection de la filiation paternelle prévue à l'article 311-20 du code civil est en effet réservée aux personnes qui ont eu recours à l'AMP dans le cadre des dispositions qui en garantissent le cadre éthique, notamment le bénévolat et la non-lucrativité des activités, cadre qu'il faut préserver. Mais garantir aux couples de femmes l'établissement de la filiation impose de leur garantir l'accès à l'AMP en France. L'extension du droit commun ne sera effective que si on évite la pénurie de gamètes. La question de la filiation est ainsi liée à celle de l'accès aux ressources.
L'extension du droit commun en matière de filiation devrait permettre de préserver le cadre éthique de l'AMP, c'est-à-dire conduire les bénéficiaires à s'adresser aux centres publics ou privés non lucratifs autorisés que sont aujourd'hui majoritairement les CECOS. Ceux-ci sont pour les gamètes les garants historiques d'une éthique qui vaut pour l'ensemble des éléments et produits du corps humain. Cette éthique s'est d'abord construite par la règle de l'absence de profit – pour les structures comme pour les professionnels. La logique est très simple : on ne peut demander aux personnes d'accepter de subir dans leur corps une atteinte à leur intégrité physique sans rien attendre, dans une logique de solidarité nationale, que si et seulement si les professionnels qui les reçoivent n'en tirent aucun profit personnel – même s'ils sont évidemment rémunérés pour leur activité. La neutralité financière est un seul et même principe qui s'est traduit par le bénévolat, par la non-lucrativité des structures et par le refus de la tarification à l'acte prévue pour l'ensemble des éléments et produits du corps humain depuis 1994.
Le gouvernement a décidé de maintenir le monopole des structures publiques et privées non lucratives, ce dont je me réjouis. Les règles de non-profit et de bénévolat ont été le moyen de signifier que l'on a affaire à des éléments et produits du corps humain et pas à une chose quelconque. C'est une garantie éthique, mais c'est aussi une garantie pour la santé publique puisque personne n'ayant d'intérêt financier particulier, le seul objectif des donneurs comme des praticiens est la santé ou la réussite du projet procréatif. Accepter la rémunération pour les gamètes en France ou à l'étranger remettrait en cause le bénévolat pour les autres produits du corps humain. Il faudrait donc distinguer selon que les couples passent ou non par le système public ou non lucratif. Je trouverais judicieux de prévoir que les couples de femmes présentent simplement à l'officier d'état civil la preuve de leur passage par les centres autorisés pour établir la filiation. Elles seraient ainsi découragées de contourner le système, de recourir à l'étranger, par le droit de la filiation, comme les couples hétérosexuels. On pourra objecter que ce n'est pas le rôle de celui-ci, et j'en suis d'accord, mais aucun autre moyen n'est prévue pour qu'une conséquence négative soit tirée du recours à l'étranger ou hors du système. En contrepartie, il faut évidemment trouver les moyens de satisfaire la demande qui sera adressée demain aux CECOS en France. Il n'y a actuellement pas de pénurie de sperme, certes, mais les dons permettent simplement de répondre à la demande existante et la pénurie d'ovocytes crée des problèmes structurels, le système tolérant des formes de rémunération dont les couples français bénéficient depuis déjà trop longtemps.
En étendant le périmètre des bénéficiaires de l'AMP, la demande va s'accroître. Pour le sperme, elle devrait être multipliée par 2 à 2,5 ; pour les ovocytes, l'augmentation de la demande viendra des femmes célibataires plus âgées qui n'auront pas pu conserver leurs ovocytes en amont et des couples de femmes. Il vous revient de prévoir les moyens d'y répondre. Pour éviter la pénurie à court terme et alors que le stock de sperme permettrait de tenir plusieurs années même une fois la demande élargie, la loi devrait préciser que la destruction ne pourra intervenir qu'au minimum cinq ans après son entrée en vigueur afin de permettre la reconstitution des stocks.
Sur le long terme, les gamètes sont les seuls éléments pour lesquels le don doit être à la fois spontané au départ – il n'y a pas de prélèvement ou de recueil sans consentement explicite – et ne peut changer de finalité en l'absence d'utilisation. En l'absence de réponse aux demandes adressées par les CECOS ou en cas de décès, les gamètes et les embryons sont détruits. Le projet de loi actuel étend cette norme à l'autoconservation. C'est une spécificité qui peut évidemment s'expliquer par la nature des gamètes. Néanmoins, sans basculer dans le régime général applicable aux éléments et produits du corps humain, il serait possible de réduire la pénurie si l'on demandait à chacun, au moment où il consent à l'acte médical de recueil ou de prélèvement, s'il accepte de donner en l'absence d'utilisation ou, pour les hommes, à l'occasion de chaque recueil. En Belgique, lors d'une autoconservation de gamètes ou d'une AMP intraconjugale, chaque personne doit prévoir au moment du premier rendez-vous médical l'affectation des éléments non utilisés, ce qui se traduit par le fait de cocher une case sur un formulaire pour dire si la personne souhaite que ses gamètes soient donnés pour un projet parental, donnés pour la recherche ou détruits. Le projet de loi prévoyant par ailleurs de lever l'identité du donneur, le même formulaire pourrait aussi concerner les données identifiantes ou non identifiantes que le législateur et le pouvoir réglementaire auront prévues. On pourrait également, à l'occasion d'une AMP intraconjugale, demander aux hommes s'ils acceptent de donner quelques paillettes, ce qui n'altèrerait en rien les chance de succès pour eux. Pour les femmes, on conserve déjà des ovocytes dans le cadre d'une AMP intraconjugale depuis 2016, donc on pourrait leur demander à quoi elles destinent leurs ovocytes non-utilisés. Les personnes bénéficieraient, conformément à toute utilisation des éléments et produits du corps humain, d'un droit de révocation jusqu'à l'utilisation des gamètes ou des embryons. Un tel système permettrait d'avoir des gamètes de façon bénévole, tout en évitant de détruire la ressource faute de réponse aux actuelles sollicitations périodiques.
Il y a des solutions simples pour favoriser les dons en évitant les propositions toujours plus problématiques, mais régulièrement mises en avant : importation de produits rémunérés, départs à l'étranger, rémunération des donneuses ou ouverture à des centres privés lucratifs qui prélèveront d'autant plus qu'ils auront un intérêt financier à le faire. Par la simple utilisation d'une ressource existante, les éléments prélevés dans un cadre bénévole, il serait possible de répondre à la pénurie et d'éviter les risques d'un marché des gamètes. Le modèle bioéthique français serait alors préservé.