L'adoption du projet viendrait modifier en profondeur l'ensemble du droit de la filiation et non le seul sujet technique de l'assistance médicale à la procréation. L'article 4 crée un mode d'établissement de la filiation exclusivement fondé sur la volonté de l'adulte. Il se démarque ainsi de tous les autres modes d'établissement de la filiation. À l'article 4, la filiation est créée ex nihilo par contrat, validé par acte notarié avant même la naissance de l'enfant. Le projet de loi élimine le rôle de l'engendrement dans la filiation. Il y substitue la volonté en permettant le détournement des règles de l'adoption, car il n'y a pas de vide juridique. Or, le fondement de la volonté génère des conflits de filiation inextricables. Si la vérité biologique n'est plus le critère dans un conflit de filiation, comment le résoudre ? La filiation sera-t-elle imposée par l'État sans contestation possible, définitivement sans aucun recours ou possibilité d'agir pour l'enfant ? C'est ce que prévoit le projet. Mais ce n'est pas le cas pour les enfants qui sont nés dans le cadre du titre VII : leur filiation peut être contestée. Par exemple, si la femme qui accouche était mariée à un homme, la filiation serait établie automatiquement à l'égard du mari en application de la présomption de paternité ; le projet de loi prévoit que cette paternité pourrait cependant être contestée pour faire établir la maternité de la deuxième femme, qui n'a pas accouché. Selon quel critère et avec quels effets ? Si la filiation était établie à l'égard de la deuxième femme, on ne pourrait plus y toucher.
Chaque pan de notre droit de la filiation est remis en cause au point que l'on peut se demander si le projet n'annonce pas la substitution pure et simple de la volonté au principe actuel, protecteur de l'enfant et de la société. Le projet repose sur une idée abstraite selon laquelle la filiation serait une construction sans lien nécessaire avec la réalité biologique, en quelque sorte un produit de la seule volonté. Il s'agit d'imposer une idée sans tenir compte de ses conséquences, qui sont graves. Or, la filiation d'un enfant ne peut pas dépendre de la volonté, donc du mode de vie des adultes. D'abord parce que la filiation détermine l'identité de l'enfant et que la protection de l'identité des personnes est garantie dans un État de droit. Le projet porte donc atteinte à un principe essentiel. Ensuite parce que la filiation est un devoir que ceux qui engendrent un enfant doivent assumer – heureusement, le plus souvent avec plaisir. Ce principe du devoir est un pilier de la société en ce qu'il permet d'éviter les abandons d'enfant. Le projet n'en tient pas compte.
Ainsi, le projet abandonne l'enfant à un statut d'autant plus fragile qu'il lui ferme les actions en recherche de paternité et que l'acte juridique proposé peut être rétracté ou annulé. Lorsque l'acte de volonté sera annulé ou rétracté, l'enfant n'aura même pas la possibilité de rechercher son père parce qu'aux yeux de la loi il n'aura pas de père : son père aura été supprimé. Qu'arrivera-t-il alors à l'enfant dont personne ne veut ? Contrairement aux autres intervenants, je ne suis pas qu'universitaire, je pratique dans la protection de l'enfance depuis 30 ans : j'ai créé le Centre de recherche sur le couple et l'enfant en 1994 et j'avais travaillé à la Protection judiciaire de la jeunesse. Je fais continûment des expertises et je peux dire qu'aujourd'hui, les enfants vont mal et que la situation de la société est grave.
S'y ajoutent de nombreux problèmes à venir : comment gérer l'articulation des faiblesses de cet acte de volonté avec les autres cas de retrait d'actes unilatéraux de volonté tels le divorce ou la dissolution d'un pacte civil de solidarité ? Que se passera-t-il en cas de désistement de procédure, en cas d'appel, en cas de pourvoi en cassation ? Comment régler les questions de responsabilité, y compris celle du notaire ? Ces risques ont des répercussions sur toutes les branches du droit qui font produire des effets au lien de filiation, par exemple, en matière de vocation successorale. Aucune des conséquences juridiques de ce projet n'est maîtrisée. La levée de l'anonymat qu'il consacre corrélativement aggrave la fragilité du statut de l'enfant. Cette mesure ne permet pas pour autant de lui donner un père. Toutefois, contradictoirement, elle démontre que l'enfant a effectivement besoin d'un père. En outre, la levée de l'anonymat soulève la question cruciale du lien de l'enfant avec le donneur de gamètes. Au bout du compte – le phénomène s'est confirmé à l'étranger –, cela encouragerait le développement d'une pluriparenté. Or, la pluriparenté complique beaucoup la construction de l'enfant et sa vie quotidienne, par la multiplication des droits sur lui. Elle crée aussi des risques de conflits, avérés à l'étranger. Elle fragilise donc encore le statut de l'enfant et soulève la question du sort du donneur de gamètes qui se trouverait en rupture totale avec le système antérieur, soumis à des actions en justice, a minima des actions à fins de subsides.