Intervention de Victor Deschamps

Réunion du jeudi 5 septembre 2019 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Victor Deschamps, maître de conférences à l'université Panthéon-Assas Paris II :

Pour que les débats soient très clairs, il faut distinguer deux choses : comment informer l'enfant des conditions de sa conception pour qu'il puisse demander à connaître l'identité du donneur, et comment établir sa filiation. Ces deux sujets sont aujourd'hui imbriqués. Pourquoi ? L'un des objectifs affichés de la déclaration commune anticipée de volonté – notamment lorsqu'on l'envisage pour tous les enfants issus d'un don de gamètes – est de créer un mode spécial d'établissement de la filiation assorti d'une mention dans l'acte de naissance, de façon que les parents ne puissent plus mentir à leur enfant. C'est l'un des arguments invoqués pour étendre la déclaration anticipée de volonté. Je pense qu'il n'est pas pertinent de vouloir régler la question de l'accès aux origines personnelles par le biais d'un mode d'établissement de la filiation. Il faut distinguer les sujets et les régler séparément : la filiation ne peut pas être le moyen de garantir aux enfants la connaissance de leur mode de conception.

Pour ce qui est de garantir aux enfants la connaissance de leur mode de conception, j'ai proposé dans la note que j'ai adressée à la commission une information obligatoire après avoir discuté avec les responsables associatifs. D'autres options peuvent être envisagées et je vous renvoie aux propositions et amendements que ces responsables associatifs ont pu formuler.

Pour ce qui est de l'établissement de la filiation, tout repose sur l'analyse qui est faite du fondement de ce lien. Si l'on dit que la filiation du titre VII est fondée sur la dimension biologique, alors on ne peut pas y avoir recours pour les couples de femmes. Or rien dans le code civil ne montre que la filiation du titre VII est fondée sur la dimension biologique. Le titre VII fait référence à la paternité et à la maternité ; il dit que la filiation paternelle est fondée sur la paternité et la filiation maternelle sur la maternité, autrement dit sur la parenté. La confusion entre biologie et parenté vient du fait qu'historiquement il n'y avait qu'une seule manière de faire des enfants : la procréation charnelle. Le titre VII n'est pas hétérosexué par essence : il est hétérosexué parce qu'à l'origine on ne peut procréer que charnellement et ceci nécessite un homme et une femme. Mais l'essence du titre VII est de rattacher l'enfant à ceux qui sont responsables de sa venue au monde. Or, aujourd'hui, les modes de procréation ont évolué, les structures familiales ont évolué, et l'on peut être responsable de la venue au monde d'un enfant sans procréer charnellement mais en consentant à une assistance médicale à la procréation. Il est envisagé de permettre demain à deux femmes de consentir ensemble à une AMP. La logique de responsabilité s'y applique également.

Il n'est pas exact de dire que si l'on ouvrait l'AMP aux couples de femmes, on écarterait les contentieux. L'article 311-20 tel qu'il est applicable aujourd'hui aux couples composés d'un homme et d'une femme sera applicable demain aux couples composés de deux femmes. Lorsque l'enfant est né d'une AMP, la responsabilité de sa venue au monde ne tient pas à un acte sexuel, mais au consentement à l'AMP. L'article 311-20 du code civil ne dit rien d'autre que lorsque l'enfant est né d'une AMP, sa filiation repose sur le consentement de ses parents. Si un parent cherche à se dérober, on peut forcer l'établissement de sa filiation en prouvant le consentement et, réciproquement, on peut contester une filiation. La filiation en cas d'AMP est contestable non par une preuve biologique, qui est non pertinente puisque la procréation n'est pas charnelle, mais à partir du consentement. On peut contester la filiation en prouvant que l'enfant n'est pas issu de l'AMP ou que le consentement de la personne reconnue comme parent est privé d'effet. C'est justement la logique de responsabilité qui fait que le titre VII est aujourd'hui bien adapté pour les couples qui recourent à un don de gamètes. Il serait demain tout à fait cohérent pour les couples de femmes, sous réserve d'adaptations minimes par rapport à ce qui est aujourd'hui proposé.

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