Intervention de Marie-Xavière Catto

Réunion du jeudi 5 septembre 2019 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Marie-Xavière Catto, maître de conférences en droit public à l'École de droit de la Sorbonne :

Une question m'a été directement adressée, qui porte sur la question du corps. Nous parlons exclusivement de filiation alors que pour devenir parent, il faut bien que les couples de femmes et les femmes seules aient accès à une ressource qui conditionne tout le reste, les gamètes. Il est vrai que l'on constate une pénurie d'ovocytes, qui va s'accroître, mais on ne peut pas parler de pénurie de sperme actuellement en France. C'est en flux tendu – l'offre équilibre à peu près la demande – et le stock actuel de gamètes donnés sous le régime d'anonymat permettrait de tenir plusieurs années.

Je suis défavorable au don dirigé pour une seule raison : la crainte de rapports de pouvoir ou de pressions qui pourraient s'exercer entre les personnes. En 1994, le législateur a posé des principes qui visent à éviter non seulement la rémunération du don, mais tout rapport de pouvoir privé. Or, le rapport de l'IGAS de 2011 sur le don d'ovocytes, la pénurie d'ovocytes et les moyens d'accéder à l'autosuffisance soulignait déjà des dérives au stade du simple don relationnel, qui n'est pas un don dirigé – le don relationnel permet de diminuer le délai d'attente ou de devenir prioritaire dans un CECOS en amenant avec soi une personne qui donnera ses gamètes, lesquels seront mis dans le « pot commun ». Les CECOS ont découvert que des demandeurs venaient avec des personnes qui leur étaient subordonnées, comme des femmes de ménage, ou qui ne les connaissaient pas. Celles-ci avaient été recrutées par des moyens que tout le monde devine : annonces par Internet, etc. Donc, le don relationnel est problématique. Le don dirigé n'est pas le don relationnel puisqu'il n'est pas anonyme : le demandeur est accompagné par quelqu'un connu de lui et bénéficie de ses gamètes. Je le trouve encore plus problématique puisque cela autorise une sélection du donneur qui va bien au-delà des critères d'appariement actuellement mis en œuvre. Par ailleurs, cela n'empêcherait pas tout rapport de pouvoir.

La pénurie est, je crois, une préoccupation majeure – en tout cas, c'est la mienne et c'est pour cela que j'en ai fait l'objet de mon exposé. Pour les ovocytes, elle pourrait être résolue assez simplement, pas uniquement par les campagnes de communication de l'Agence de la biomédecine, mais aussi par l'ouverture de l'autoconservation. L'autoconservation préventive d'ovocytes pour les femmes de moins de 35 ans permettrait de reculer l'infertilité liée à l'âge. L'étude espagnole qui est mentionnée dans le rapport de l'Académie nationale de médecine de 2017 montre que moins de 10 % des femmes récupèrent leurs ovocytes après un délai relativement court, parce que lorsqu'elles souhaitent procréer elles peuvent le faire à 38 ans à l'occasion d'un rapport sexuel ou dans le cadre d'une FIV ou d'une AMP intraconjuguale, mais avec les ovocytes qu'elles portent, donc sans forcément récupérer ceux qu'elles ont autoconservé. Une autre étude, portant sur les Pays-Bas, a été publiée en octobre 2018 dans une revue médicale sérieuse et fait le même constat : moins de 10 % des femmes récupèrent leurs ovocytes.

C'est à mes yeux un droit fondamental et il faut l'ouvrir même si la récupération est faible. Je me réjouis donc que l'autoconservation soit prévue par le projet de loi. En revanche, je ne comprends pas pourquoi le texte ne prévoit pas que le don des ovocytes non utilisés soit décidé dès l'autoconservation. En effet, le projet de loi prévoit de solliciter la femme pendant 10 années consécutives et de détruire les ovocytes si elle ne répond pas. C'est une destruction de ressources alors que la sécurité sociale participe à la prise en charge des Françaises en Espagne et qu'en Espagne le don d'ovocytes est rémunéré à hauteur de 900 ou 1 000 euros, largement captés par le secteur privé lucratif. J'y vois une contradiction majeure.

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