Intervention de Catherine Jousselme

Réunion du jeudi 5 septembre 2019 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Catherine Jousselme, Professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'université de Paris Sud :

Nous allons évidemment nous placer du côté de l'enfant et non du côté de l'adulte, en gardant à l'esprit que le temps psychologique n'est pas forcément le temps du concret. On sait aujourd'hui, grâce à la psychanalyse mais aussi aux neurosciences, que pour arriver à intégrer une information et à l'utiliser vraiment, il faut que nos circuits cérébraux aient le temps de l'apprivoiser, de l'intégrer, de la digérer. Une loi de bioéthique qui ouvre aux personnes le droit de prendre des décisions doit donc se donner les moyens de les aider à prendre le temps de prendre ces décisions ; elle doit aussi de donner les moyens d'avoir des gens formés en amont et en aval de ces décisions pour pouvoir répondre à d'éventuelles questions, à des doutes secondaires. On sait aussi que pour les enfants qui sont issus de familles un peu originales, le plus difficile est d'être stigmatisé. Le mariage pour tous, par exemple, a été très positif pour les enfants qui vivaient déjà dans des familles homoparentales, et comme les parents étaient désormais en égalité de droits face à ces enfants, ils ont pu leur donner beaucoup plus de sécurité.

L'orientation sexuelle des parents ne les fait pas bons ou mauvais parents, ou « suffisamment bons » ou « suffisamment mauvais » parents. Cela se passe à un autre niveau et je vais essayer de vous en dire quelques mots. Face à ce projet d'extension de la PMA, la première question est : est-ce que la PMA est dangereuse ? Est-ce que les enfants issus de PMA vont mal aujourd'hui ? Non, les enfants issus de PMA vont bien, sachant qu'il faut prendre du temps avant le don ou l'assistance médicale à la procréation (AMP) en général pour bien évaluer la place du désir de cet enfant et surtout l'entrecroisement des choses entre les deux partenaires qui souhaitent avoir un enfant. Pour cela, il faut des gens formés et Mme Cosquer et moi plaidons pour que cette évaluation soit le fait de deux personnes, l'une issue de la psychologie ou de la psychiatrie de l'adulte et l'autre issue de la psychologie ou de la psychiatrie de l'enfant, pour que l'enfant et l'adulte puissent être entendus chez les parents. Cela nous semble quelque chose d'extrêmement important.

Nous sommes d'accord avec l'idée que les couples homoparentaux aient accès à la PMA en France. Je suis de nombreuses familles homoparentales qui ont eu accès à la PMA à l'étranger et je ne pense pas que la sélection par le niveau social fasse la bonne parentalité : la maltraitance existe malheureusement dans tous les milieux. Ce qui compte chez les parents, ce sont les doutes possibles et les questions qu'ils se posent. Ce qui est dangereux, c'est quand un couple homoparental estime qu'il va être meilleur qu'un couple hétérosexuel, qu'il a toutes les solutions et qu'il n'y a aucune question que pose son homoparentalité. Par contre, je vois des gens qui se posent des questions avec leurs enfants au fur et à mesure de leur développement et les choses se passent très bien.

Il n'est donc pas souhaitable, en ne faisant rien, d'en rester à cette sélection sociale pour l'accès à la PMA à l'étranger. Par ailleurs, toutes les études sérieuses montrent que les enfants issus de ces couples homoparentaux n'ont pas de problème d'identité globale, d'identité sexuelle ou de choix sexuel. Je ne reviendrai pas sur le secret. Les parcours de personnes qui ont un secret sont délétères dans les PMA comme dans l'adoption. J'ai le souvenir d'un homme qui a appris devant moi à 30 ans qu'il était vraiment sûr qu'il avait été adopté : il m'a expliqué que pendant 8 jours il avait l'impression que le monde entier était un décor de cinéma et que ça le rendait fou. La levée du secret est évidemment obligatoire et elle est peut-être plus aisée pour les familles homoparentales puisque forcément l'enfant vient de quelque part. Les couples homoparentaux sont « obligés » de le dire alors que c'est plus difficile dans les couples hétérosexuels. Certains ont beaucoup de mal à expliquer leur stérilité et il faut les accompagner car ne pas le faire expose à un risque de handicap psychique. Il faut se donner les moyens de ce qu'on décide.

Nous sommes assez réservées sur la possibilité pour les couples hétérosexuels sans problème médical d'accéder à l'AMP, notamment par double don de gamètes, parce cela nous semble refléter un désir d'enfant hors de la sexualité. Or, avoir un enfant, c'est d'abord avoir un désir sexuel amoureux entre deux personnes. Dans l'homoparentalité, bien évidemment, il faut une aide, mais ce n'est pas pareil. La demande de deux femmes qui ont une sexualité, qui s'aiment et qui ont besoin d'une aide pour avoir un enfant et la demande d'un couple qui souhaite avoir un enfant, mais en est empêché par sa sexualité – hors problèmes médicaux ou génétiques – sont radicalement différentes. Il faut bien différencier le semblable et l'identique. Or ces deux demandes sont semblables mais pas identiques.

Nous sommes moins réservées sur les mamans solos, peut-être parce que la clinique a montré que certaines femmes n'ont pas de facteur de risque, pas d'histoire traumatique, pas de parcours épouvantable avant... Les données de santé mentale des enfants vivant dans un cadre monoparental sont mauvaises parce que ces femmes ont souvent vécu un deuil, un abandon, ou des choses traumatiques. En revanche, il nous semble important que les entretiens en amont soient extrêmement rigoureux – le législateur doit assumer ses responsabilités – pour faire une évaluation vraie. L'idée a aussi été émise d'un tiers de vie ou d'un parrain de vie qui serait déclaré en même temps que le projet parental et qui serait un tiers déterminé, spécifique, dans la relation entre la mère et l'enfant.

Nous nous inquiétons de ce qu'il n'y ait pas de limite d'âge pour l'autoconservation des gamètes, car si la contraception permet d'imaginer un enfant au bon moment dans sa vie, dans une période de fécondité, imaginer un projet artificiel d'enfant à distance uniquement en fonction des projets parentaux, voire de l'entreprise dans laquelle on travaille, nous semble dangereux pour l'enfant. Un enfant, ce n'est pas juste ce qu'on veut : il y a un bébé imaginaire qui doit aussi faire partie de notre histoire en fonction de ce qu'il peut être lui-même. On doit pouvoir être surpris par lui. Programmer des choses à ce point est inquiétant.

Le double don est intéressant dans certains domaines parce que le don d'embryon n'est actuellement pas vécu par certains couples comme un double don : l'embryon surnuméraire qu'ils accueillent est vécu par certains comme un embryon qui n'aurait pas été « assez bon » pour le couple qui l'a conçu. Il a pourtant été conçu par le désir – on voit alors la place du désir d'un autre couple – et pour ces couples-là, c'est un peu compliqué. Le double don pour les couples dont les deux membres sont stériles ne nous semble pas du tout quelque chose d'inenvisageable.

Il semble important d'avoir un suivi en amont, une réflexion sur la nature du désir d'enfant et la personnalité des personnes qui demandent un enfant dans ces conditions-là, puis, en aval, d'avoir des consultations de bien-être, c'est-à-dire ces consultations de guidance parentale que l'on a avec tous les couples et dans les familles un peu « particulières ». Ces consultations sont très utiles et demandent parfois un suivi au long cours, y compris avec un accompagnement à l'adolescence sur les questions qui touchent la filiation. Les pédopsychiatres doivent pouvoir être présents jusqu'à l'adolescence de ces enfants pour répondre à leurs questions sans les stigmatiser.

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