Intervention de Catherine Jousselme

Réunion du jeudi 5 septembre 2019 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Catherine Jousselme, Professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'université de Paris Sud :

On vient de le dire, l'absence de secret doit devenir d'une banalité affligeante. Dès la pouponnière, l'enfant destiné à l'adoption a un cahier de photos, les parents adoptants continuent le cahier de photos et en fait il n'y a jamais un moment précis où on va lui dire parce que c'est une ambiance générale où la famille est d'accord, entend, comprend. La stérilité, ce n'est pas pareil. Ça peut faire très peur, donc il faut accompagner. L'idée est de le faire le plus en amont possible. Quelque chose doit être tricoté avec l'enfant pour qu'il n'y ait pas de révélation à proprement parler.

Le sujet de l'effacement du père est très compliqué parce que les pères symboliques, ça existe. Certaines personnes n'ont pas de père mais ont un père symbolique en dehors de la famille. Dans les couples homoparentaux, notamment femmes, la plupart du temps la femme qui n'a pas porté l'enfant – parfois c'est toujours la même – prend la place d'un tiers séparateur et l'Œdipe de ces enfants se développe – Freud ne pouvait pas l'imaginer, j'imagine, en 1890 ou 1920 : ces enfants ont accès à un Œdipe, c'est-à-dire qu'il apparaît un tiers qui rompt la relation particulière qu'ils ont avec la mère qui les a portés.

Dans les couples homoparentaux hommes – j'en suis un certain nombre – il se passe la même chose entre celui qui a donné son sperme et celui qui ne l'a pas donné. Symboliquement les rôles sont distribués différemment et les enfants ne font pas leur Œdipe de la même façon avec le papa qui a donné le sperme et celui qui ne l'a pas donné. Nous sommes à l'aune de révolutions dans le fonctionnement de la société, on ne peut pas tout permettre et le législateur doit garantir des risques. Il faut donc, je pense, ne pas caricaturer et tomber dans une vision inverse de ce que l'on veut faire pour protéger les enfants, une vision qui ferait basculer un certain nombre de personnes dans un déni (« mais non, tout va très bien »). Non, tout ne va pas très bien. Quand les gens s'aiment vraiment, ce n'est pas qu'ils ont beaucoup d'amour à donner, c'est qu'ils s'aiment eux, vraiment, qu'ils pensent la construction d'une famille et qu'ils se posent les vraies questions : « il y a deux mamans, comment va-t-on faire ? ». Ça peut être pas si négatif que ça pour les enfants. Il y a aussi beaucoup de couples hétérosexuels qui ont de très graves problèmes de repérages de la fonction paternelle, qui ne parviennent pas à déterminer qui est le père. Malheureusement, nous voyons bien toutes les deux, en maternité, combien c'est compliqué. Nous ne sommes pas dans un système où tout marche bien et tout le reste va être terrible.

Vous avez entièrement raison, il faut expliquer l'infertilité très jeune. Je pense aussi que la prévention consiste peut-être à faire comprendre que l'on n'est pas fertile tout de suite non plus : ce n'est pas parce qu'au bout de 6 mois on n'a pas de bébé qu'il faut se lancer dans des parcours de je ne sais trop quoi parce que nous vivons dans une société où « vite, il faut qu'on ait un enfant, sinon quelque chose ne va pas ». Il faut faire comprendre que le temps psychique existe et se traduit dans notre corps par la façon dont nos gamètes sont produits et la façon dont on peut être fertile ou pas. Notre société doit l'expliquer aux jeunes et, plus encore, le leur faire vivre en leur montrant aussi ce qui se passe dans la nature : on ne peut pas faire tout ce qu'on veut immédiatement, très vite, pour qu'on soit fonctionnel, et cocher des cases. Il n'y a rien de pire pour un être humain.

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