Intervention de Pierre Lévy-Soussan

Réunion du jeudi 5 septembre 2019 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Pierre Lévy-Soussan, psychiatre :

Une question portait sur l'équation de l'équilibre pour les femmes seules, par rapport aux logiques d'accueil et de développement de l'enfant à venir. Dans le monde de l'adoption, on utilise certains critères pour les entretiens d'agrément impliquant des femmes seules. Cela relève de chaque psy, mais la loi a prévu l'existence de critères au vu desquels nous pourrons nous dire favorables ou défavorables à l'agrément pour une femme célibataire. Nous faisons effectivement valoir auprès des conseils généraux, compétents pour ces agréments, que certaines femmes ont une solitude si je puis dire structurelle, ce qui crée des risques fusionnels continus par rapport à l'enfant – donc pas simplement pendant une courte période, mais tout le temps – et d'autres femmes qui sont seules d'une façon circonstancielle, ce qui n'obère pas la possibilité d'un tiers par rapport à l'enfant.

En tant que tel, même dans l'adoption, le fait même d'être femme seule est un facteur de risque.

L'effacement symbolique du père est un vrai problème – pour moi, c'est l'un des problèmes essentiels. On efface à la fois son rôle symbolique et réel. Il ne faut pas oublier l'effet d'un père réel sur son enfant, c'est-à-dire l'existence d'interactions qui lui sont propres et que l'enfant n'aura pas ailleurs – ce ne seront pas les mêmes interactions avec l'oncle, le grand-père ou l'ami. L'impact de l'effacement ne se fait pas sentir seulement dans la réalité, mais aussi de façon symbolique, parce que la société va dire qu'elle n'a pas besoin d'un père pour un enfant – pour travailler depuis 20 ans dans le monde de la protection de l'enfance, je sais que cela posera un vrai problème. Cette inutilité, cet effacement du père du fait de la logique poursuivie par l'État aura des conséquences sur le plan de la protection de l'enfance et par rapport au champ de la prévention.

Pour revenir sur le besoin de connaître ses origines, je veux différencier ce qu'est l'identité de ce qu'est l'origine de la conception. Ce n'est pas la même chose. On s'est battu depuis 30 ans pour faire admettre qu'il faut dire les modalités de conception d'un enfant, aussi bien adoptif qu'issu d'AMP, mais l'identité est quelque chose de totalement secondaire. Plus les parents sont à l'aise avec cette modalité de conception, adoptive ou par AMP, moins il y aura de problèmes d'identité. Je considère donc que cette histoire de levée d'anonymat est une mauvaise réponse à une vraie question. Ce qui compte, c'est ce qui fait que l'on est conduit vers les techniques d'AMP ou d'adoption. Ce que les couples veulent éviter, c'est de devoir dire qu'ils sont infertiles. Il y a des gens qui apprenaient leur adoption le jour de leur mariage. C'est le cheminement vers l'enfant qui est problématique. Le cheminement vers l'enfant dans l'AMP ne relève pas seulement du fait de recourir à des techniques scientifiques, mais aussi, sur un plan sociétal, du fait de recourir à la science pour ne pas avoir engendré l'enfant alors qu'on aurait pu le faire.

Enfin, s'agissant de la place que la scène primitive pourrait avoir dans le système de prévention, la seule place que je vois consisterait à ne pas créer de confusion totale par rapport aux origines de l'enfant, sur un plan juridique. Mettre deux hommes ou deux femmes d'un point de vue filiatif ou originaire n'aurait pas de sens pour l'enfant. Beaucoup de pays qui ont ouvert l'accès à l'AMP établissent une femme comme mère de l'enfant et ne donnent pas le même statut à l'autre. Pourquoi ? Pour ne pas mettre l'enfant dans une sorte d'égalité éducative, ce qui est juste dans une certaine logique, mais ne l'est pas d'un point de vue filiatif. D'un point de vue filiatif, ce n'est pas la même chose de naître d'une femme et d'avoir l'autre mère comme co-parente. C'est tout à fait manifeste dans les expertises conduites sur des femmes qui se séparent. Il est évident que la femme qui a fait naître l'enfant, au regard de toutes les interactions qu'elle a eues avec lui, n'a pas le même poids par rapport à la femme qui a eu ce rôle simplement éducatif. Je pense qu'il est extrêmement important que ce soit différencié au plan juridique.

Lorsqu'on me parle de l'amour qui résout tout, je cite souvent Donald Winnicott : « Un enfant n'a pas besoin d'amour, il a besoin de parents ».

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