Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 17h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Je vais présenter une série d'amendements qui ont trait à la procréation médicalement assistée (PMA) de volonté survivante, question sur laquelle nous étions très partagés en première lecture et qu'il nous faut à présent trancher. Considérons le cas d'une femme qui développe avec son conjoint un projet parental. Les conditions naturelles de procréation n'étant pas remplies, ils décident de congeler les spermatozoïdes du mari ou du compagnon, ou de développer des embryons par fécondation in vitro, avant de les congeler. Peu avant le transfert à la femme des spermatozoïdes ou des embryons, l'homme décède subitement, soit du fait d'une maladie, qui a motivé la congélation des spermatozoïdes, soit accidentellement. La femme, devenue veuve, doit-elle interrompre ou poursuivre son projet parental ?

Cette question en soulève plusieurs autres. Son mari ou son compagnon avait pu lui signifier – la future loi contiendra une disposition à ce sujet – son désir de prolonger le projet, donc l'enfantement, même s'il était victime d'un accident mortel. Si elle souhaite interrompre le projet, ce qui est son droit le plus absolu, tout s'arrête. En revanche, si elle désire le poursuivre, devons-nous faire droit à sa demande ? D'un côté, il faut prendre en compte l'intérêt de cette femme, de ce couple, qui a demandé la poursuite du projet parental. De l'autre côté, nous nous demandons, tous ensemble, si l'intérêt de l'enfant sera préservé, si l'enfant sera bien accueilli. D'aucuns peuvent craindre que ce soit l'enfant du deuil. Faut-il fixer des délais pour éviter des répercussions négatives sur le développement de l'enfant ?

Il me paraît nécessaire de respecter le choix fait par une femme libre, en attendant peut-être quelques mois après le décès, afin qu'elle ne soit pas soumise à une émotion envahissante. Ce qui est en jeu, c'est l'autonomie de la femme. Je vous rappelle que nos prédécesseurs, en 1975, ont accordé aux femmes la libre disposition de leur corps et de l'interruption de grossesse. En 2020, nous devons nous demander s'il convient de leur offrir la disposition de la poursuite d'un projet de grossesse et la possibilité de faire un choix.

Les autres solutions qui s'offrent à nous consistent soit à exprimer une interdiction absolue, soit à demander à la femme de faire don de ses embryons ou de ses spermatozoïdes, afin que les enfants naissent dans une autre famille. Comme nous allons accorder l'accès aux origines, dix-huit ans plus tard, un enfant pourra venir voir cette femme et lui dire : je n'ai pas eu le droit de naître auprès de toi, je suis né ailleurs, mais je viens te dire que je suis bien là, avec tes ovocytes et les spermatozoïdes de ton mari. La femme peut aussi, pour elle-même, demander à bénéficier d'un don de spermatozoïdes. Forcer une femme qui a perdu son conjoint à se séparer des gamètes ou des embryons conçus avec celui-ci et à entamer un nouveau cycle de procréation en tant que femme non mariée représente cependant une violence qui peut sembler peu acceptable quand elle s'ajoute à un deuil éprouvant.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que les positions du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et, surtout, du Conseil d'État sont constantes en la matière. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État estime qu'il est paradoxal de maintenir l'interdiction de l'assistance médicale à la procréation (AMP) « à l'aide des gamètes d'un homme décédé ou des embryons conservés par un couple dont l'homme est décédé […] alors que le législateur ouvre l'AMP aux femmes non mariées. […] Dans un souci de cohérence d'ensemble de la réforme, le Conseil d'État recommande au Gouvernement d'autoriser le transfert d'embryons et l'insémination post mortem dès lors que sont remplies les deux conditions suivantes : d'une part, une vérification du projet parental afin de s'assurer du consentement du conjoint ou du concubin décédé ; d'autre part, un encadrement dans le temps (délai minimal à compter du décès et délai maximal) de la possibilité de recourir à cette AMP. » C'est la raison pour laquelle l'amendement que je vous propose rend possible l'AMP dans une période comprise entre six mois et dix-huit mois après le deuil, ce qui permet d'inscrire la poursuite du projet parental et la succession dans une durée raisonnable.

Le Conseil d'État nous invite à la cohérence. Je vous suggère donc d'être cohérents : dans la mesure où nous autorisons une femme seule à développer une PMA, n'interdisons pas à une veuve d'y recourir. Je vous rappelle que notre assemblée s'était prononcée en ce sens il y a neuf ans. La solution avait ensuite été écartée, parce qu'une femme seule n'avait pas la possibilité, à l'époque, de bénéficier d'une AMP. On considérait qu'une veuve étant une femme seule, on ne pouvait pas faire d'exception à la règle.

L'amendement n° 1444 concerne l'accueil des spermatozoïdes et des embryons, tandis que l'amendement n° 1445 est un amendement de repli, pour le cas où certains souhaiteraient que seuls les embryons puissent être l'objet du prolongement du projet parental. En effet, l'embryon atteste une volonté encore plus forte de réalisation d'une grossesse.

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