Pour vague qu'elle soit, nous ne rejetons pas nécessairement le principe de cette proposition de loi, ni même son idée générale de créer une agence nationale de cohésion des territoires, pour qu'ils se développent plus harmonieusement, en veillant notamment à résorber les fractures territoriales qui traversent notre pays. Au contraire, nous avons même des propositions précises sur le sujet à vous faire.
Cela étant, il est surprenant, au vu de l'exposé des motifs très ambitieux, de voir l'intégralité du contenu de ce texte renvoyé à un décret. L'article 2 de votre proposition de loi revient à dire que les parlementaires qui l'ont imaginée ont été frappés par une idée lumineuse, mais qu'ils ont décidé de s'en remettre au Conseil d'État pour l'éclaircir. Selon les termes de cet article, qui a au moins le mérite d'être court : « Un décret en Conseil d'État détermine l'organisation et le fonctionnement de cette agence, ainsi que ses missions, les conditions dans lesquelles elle les exerce et la constitution de ses recettes ». Une autre rédaction aurait été possible : « Un décret en Conseil d'État détermine tout ». Chers collègues, si vous créez une agence sans en spécifier ni le fonctionnement, ni l'organisation, ni les missions, ni les recettes, et que vous vous en remettez intégralement au Conseil d'État, vous créez une coquille vide. Que les modalités de l'ordre du détail lui soient confiées, c'est chose commune ; ici, c'est de tout le contenu du texte dont il hériterait.
Il y a clairement un problème de méthode. Le Gouvernement annonce en juillet la création d'une nouvelle agence, sans rien dire de l'articulation avec les organismes d'ores et déjà existants. Et dans le même temps, comme vous aimez le dire, vous annoncez un quart de réduction d'effectifs notamment au CEREMA – le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement – dont les salariés de la direction d'Île-de-France ont appris par mail qu'elle fermera, ont appris par mail que leurs emplois seront supprimés. Je ne sais pas si vous réalisez la violence que c'est ! À la suite de la mobilisation des salariés, la fermeture a été suspendue, laissant planer le doute sur la nature des postes qui seront supprimés. Vient ensuite une proposition de loi dont la République en marche supprime tous les articles en commission et qui sera sans doute renvoyée aujourd'hui. Ce ne sont pas des cadres sérieux de débat parlementaire. Il faudrait au moins discuter des relations que cette nouvelle agence trouverait avec le CEREMA ou le Commissariat général à l'égalité des territoires – le CGET.
Avant d'en venir à nos propositions en matière d'aménagement du territoire, je m'arrête tout de même un instant sur l'exposé des motifs. Général dans son propos, il reconnaît néanmoins l'existence de territoires abandonnés par la République, tant dans la France rurale que dans la France urbaine ; mais il ne dit pas assez clairement quelle République manque cruellement à celles et ceux qui se sentent délaissés par elle : c'est la République sociale qui a disparu, et la diminution des réseaux de transport comme les déserts médicaux ne résultent pas d'une opération du Saint-Esprit. Ce sont les politiques publiques de ces quinze dernières années, obnubilées par la réduction des dépenses publiques, qui les ont produits.
Or, je doute fortement que celles et ceux qui forment la majorité se soient opposés au recul massif de l'État, qui a été la marque de fabrique des trois derniers quinquennats et qui semble être l'un des mantras de celui qui commence et que soutiennent les collègues à l'initiative de ce texte. Déplorer la fracture territoriale et soutenir la logique générale impliquée par la métropolisation n'est pas possible. J'irai plus loin encore : lorsque nos collègues écrivent qu'il faut créer cette agence – dont le texte, je le rappelle, ne dit rien – pour que certains citoyens « n'aient plus le sentiment lancinant d'avoir été abandonnés par la République », ils font preuve d'un mélange de bons sentiments et de naïveté face à ce problème. Ce n'est pas un sentiment qu'éprouvent les citoyennes et les citoyens des quartiers populaires ou des zones rurales périphériques, c'est une réalité qu'ils vivent.
Cette réalité dépend largement de l'inégale répartition des richesses. Quand vous construisez une société pour les plus riches, vous concentrez les richesses en haut de la pyramide sociale, pour les « premiers de cordée », et vous la dirigez vers les centres géographiques. Je vous donne un exemple : l'Île-de-France est à la fois la région la plus riche et la plus inégalitaire de France. Celles et ceux qui sont abandonnés par la République sociale, ce sont les régions les plus pauvres, par exemple La Réunion, où je me suis rendue avec notre collègue Jean-Hugues Ratenon ; mais ce sont également celles et ceux qui, à quelques kilomètres d'une richesse indécente, sont privés de tout. Rappelez-vous, chers collègues, cette réalité indéniable : inégalités territoriales et inégalités sociales ne peuvent être dissociées. La France des premiers de cordée, ce n'est pas toute la France. La France des premiers de cordée a pour seul horizon le XVIe arrondissement de Paris. Nous avons de la France une plus haute idée, aux espaces plus vastes.
Nous sommes reconnus dans le pays comme les premiers opposants ; mais nous sommes également, vous l'avez vu depuis le début de la législature, les premiers « proposants ».