La perspective de la création d'une agence nationale pour la cohésion des territoires est un sujet qui ne peut laisser personnes indifférent, mais qui soulève quelques interrogations. Force est de constater qu'en dépit de nombreuses initiatives, émanant notamment du Commissariat général à l'égalité des territoires et avant lui de la DATAR – délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale – , les inégalités territoriales demeurent et d'autres se creusent, mettant en péril la cohésion des territoires et, au-delà, la cohésion du territoire national. À ce titre, la proposition de Philippe Vigier n'est pas dénuée d'intérêt. Son engagement sur les sujets liés à l'aménagement du territoire est connu et je ne pense pas qu'on puisse lui faire un procès d'intention comme on a pu l'entendre lors de l'examen de ce texte par notre commission.
L'intention de mon collègue est louable. Le constat sur lequel s'appuie son initiative est partagé s'agissant de la fracture qui se creuse entre la France périphérique et celle des métropoles. Et je tiens à redire que c'est bien une réalité que ce constat éclaire d'une lumière crue, et non un ressenti ou un sentiment d'abandon comme on peut l'entendre ici ou là.
Mais plusieurs zones d'ombre demeurent et mériteraient d'être éclaircies. De mon point de vue, on ne peut rester suspendu à un décret en Conseil d'État pour, comme le prévoit l'article 2, déterminer « l'organisation et le fonctionnement de cette agence, ainsi que ses missions, les conditions dans lesquelles elle les exerce et la constitution de ses recettes ». Cela mériterait d'être précisé par votre texte de loi, mon cher collègue. La question des moyens est centrale et le texte devrait être clair sur ce point pour éviter une énième désillusion. Quels moyens humains et matériels pour traiter demain efficacement de sujets aussi différents que le logement, la désertification médicale, la mobilité ou encore le très haut débit ?
La question des moyens humains appelle en toute logique celle de l'articulation avec les organismes déjà existants : je pense au CEREMA, en pleine tourmente ces dernières semaines, au CGET, mais aussi aux services déconcentrés de l'État ou à ce qu'il reste de l'ATESAT – l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire. En toute logique, deux scénarios s'affronteraient : soit la nouvelle agence fédérerait ces structures existantes, soit elle les intégrerait ; mais, dans les deux cas, cela ne pourrait se faire sans une réflexion très en amont, sauf à rajouter de la confusion dans le paysage institutionnel au lendemain de la création de cette agence – ce qui, je n'en doute pas, n'est pas l'objectif poursuivi.
Un mot enfin sur l'ingénierie qui, à n'en pas douter, serait la principale mission de la future agence, pour rappeler que la situation est très différente selon les territoires et que les collectivités ne sont pas restées inactives, beaucoup en effet ayant pris des initiatives. C'est notamment le cas des départements, qui ont créé des agences techniques dont la compétence est reconnue, comme celui du Cantal, qui s'est investi sur des sujets aussi variés que la ressource en eau, la performance énergétique des bâtiments ou encore les usages et l'école numériques. D'où la nécessité de préciser, là encore, l'articulation entre cette future agence et les moyens déjà déployés sur le terrain.
Si le principe de mobiliser les moyens humains et financiers au travers d'une agence est recevable et même bienvenu, il conviendrait de lever les zones d'ombre que j'ai évoquées afin d'éviter le piège des doublons ou, pire encore, d'accoucher d'une usine à gaz qui rajouterait de la confusion sans apporter de réels services aux territoires. C'est dans cet esprit que nous avons, au groupe Les Républicains, déposé un certain nombre d'amendements. Cette exigence de cohérence vaut pour cette proposition de loi, monsieur le secrétaire d'État, comme elle vaudra demain pour le projet auquel réfléchit le Gouvernement.
Je ne saurais terminer sans rappeler qu'au-delà de la question d'un nouvel outil de développement, il convient de s'assurer que, quand les maîtres d'ouvrage sont les collectivités en périphérie des métropoles, qu'il s'agisse des départements ruraux ou des EPCI, elles puissent garder les moyens d'agir et d'investir, ce qui appelle la question de leurs ressources, sujet d'une criante et douloureuse actualité s'agissant de ces départements ruraux.