Alors qu'il y a encore quelques mois, nous attendions le fameux retour à l'équilibre de nos comptes sociaux, la disparition de la fameuse dette de la sécurité sociale, que nous étions même sur le point de fermer la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) après vingt-huit ans d'existence, la crise marque un tournant et la reconstitution, au moins temporaire, de déficits importants. Comme vous, je le regrette. Il est encore proche le temps où, comme rapporteur général de la commission des affaires sociales, j'avais œuvré à ce retour à l'équilibre.
Pourquoi une reprise de dette maintenant ? Parce qu'il est indispensable d'assurer le financement de la sécurité sociale. La trésorerie de la sécurité sociale est gérée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) avec une contrainte sur la maturité des emprunts qui ne peuvent excéder douze mois. Cette trésorerie, grevée par 30 milliards d'euros de déficit passé, a été soumise à de très fortes tensions du fait des mesures instaurées pendant la crise.
Pourquoi la CADES ? La question du cantonnement de la dette créée par la crise du covid-19 à la sécurité sociale est une vraie question dont les économistes débattent à juste titre et pour laquelle l'échelon approprié est probablement européen. Mais il faut agir vite, et à ce stade la solution défendue dans ce projet de loi est la meilleure qui soit. C'est aussi respecter les principes de 1996 selon lesquels la dette sociale est gérée vertueusement et apurée au principal. Dans ce contexte d'urgence, il n'est pas bon de revenir sur les principes, ce qui ne devra pas nous empêcher d'en faire le bilan.
Pourquoi 136 milliards d'euros ? Seul un transfert important peut permettre à la CADES des placements à horizon long, ceux qui sont les plus sécurisants. Seule cette reprise nous protégera contre le risque de devoir décaler un jour le paiement des prestations par manque de financement. Et ne perdons pas de vue que l'hôpital, mis à assez rude épreuve ces dernières semaines et ces derniers mois, trouvera dans cette reprise de dette de l'air, de la visibilité, sans préjuger des conclusions prochaines du « Ségur de la santé ». Enfin, même en cas de rebond de l'économie, les déficits à venir sont inéluctables. Ce que propose ce texte, c'est une opération de bonne gestion de la sécurité sociale dans une période difficile. Concrètement, cela veut dire que nous devons prolonger la durée pendant laquelle nous mobilisons des recettes pour rembourser la dette pour neuf années supplémentaires, de 2024 à 2033. C'est un acte de responsabilité pour ne pas laisser notre système social s'endetter sans limite, et en garantir la pérennité pour nos enfants. Mais à l'occasion de cet engagement, nous posons la première pierre d'une réforme très attendue et maintes fois annoncée par le passé : celui de la perte d'autonomie.
Le texte prépare la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale pour couvrir nos concitoyens contre le risque de perte d'autonomie, sachant qu'en 2040 près de 15 % des Français, soit 10,6 millions de personnes, auront 75 ans ou plus, soit deux fois plus qu'aujourd'hui. La création d'une cinquième branche est probablement la plus belle chose que puisse annoncer un ministre des solidarités et de la santé.
Nous sommes tous attachés à la sécurité sociale parce que c'est un trésor national. Pendant cette crise épidémique, la sécurité sociale aura joué son rôle plein et entier d'amortisseur. Face aux incertitudes de l'avenir, la protection sociale est plus que jamais un cadre de référence et de stabilité. Il faut s'armer pour affronter le présent et l'avenir, sinon avec optimisme au moins avec confiance. Depuis trop longtemps, nous sommes un peu comme le funambule sur la corde raide à osciller entre d'un côté des contraintes budgétaires qui limitent nos marges de manœuvre et de l'autre des risques nouveaux qui apparaissent dans des proportions massives. Ce projet de loi porte l'ambition d'augmenter ces marges de manœuvre et de regarder en face la société française dans ce qu'elle est devenue, et dans ce qu'elle est tout court. Ce texte peut sembler technique, mais en réalité il est audacieux et responsable, c'est-à-dire réaliste dans les objectifs qu'il fixe et exigeant dans les enjeux immenses qu'il affronte.