Intervention de Boris Vallaud

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie et le projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Nous engageons l'examen de ces textes dans un débat parlementaire qui n'en sera pas véritablement un, puisque votre décision est prise. Vous la qualifiez de « meilleure qui soit », en dépit des débats qui animent la communauté des économistes. Le résultat est connu d'avance : vous allez transférer 136 milliards d'euros à la CADES, mettant ainsi un terme prématuré au débat sur la façon de traiter la dette créée par la crise en cours, dont la nature particulière pouvait justifier un traitement spécifique.

Le Gouvernement a donc décidé de faire comme avant, en niant la spécificité de cette dette. Vous avez du moins l'avantage de la constance puisque, depuis le début du quinquennat, vous avez fait le choix de ne pas distinguer le périmètre du budget de l'État de celui de la sécurité sociale. Il y a peu, vous aviez d'ailleurs décidé de ne plus compenser les exonérations de cotisations sociales.

Cette dette n'est toutefois pas liée à un déséquilibre structurel du régime de sécurité sociale, mais à des décisions de l'État pour faire face à une crise conjoncturelle. Ce sont bien des décisions de l'État, que nous ne contestons pas sur le fond, mais qui ont eu des conséquences sur les dépenses comme sur les recettes de la sécurité sociale et de l'UNEDIC.

Comme le suggérait le HCFiPS, le Gouvernement aurait pu – et, à notre sens, aurait dû – décider de prendre à son compte le déficit exceptionnel créé par la crise. Cette solution présentait plusieurs avantages.

Le premier tient au fait que l'État emprunte à des conditions plus favorables que les agences sociales, avec un écart de taux qui varie entre 0,1 et 0,3 point. Il y a quelques jours, le Gouvernement semble avoir refusé un prêt de trésorerie à l'Association générale des institutions de retraite des cadres et à l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC-ARRCO), prêt que l'ACOSS aurait refinancé sur les marchés de court terme. Elles ont donc dû recourir aux banques, et payer un swap qu'elles auraient pu éviter si l'État avait pris ce prêt à son compte.

Le second avantage tient à la nature même des dettes et aux conséquences qu'elles emportent. Depuis 1996, la dette sociale fait l'objet d'un amortissement, donc d'un remboursement intégral, intérêts et capital, et doit tendre vers zéro. La dette de l'État, en revanche, est gérée à très long terme. L'État n'en supporte que les intérêts, et réemprunte indéfiniment le principal, ce qui revient à « faire rouler la dette ». Le débat porte en général sur le niveau de la dette, sur son caractère supportable ou excessif, non sur son extinction.

A contrario, votre choix nous fait craindre que vous hypothéquiez les dépenses sociales et réduisiez les marges de manœuvre, au moment même où s'ouvre le « Ségur de la santé » et où le Gouvernement annonce qu'il veut investir dans l'hôpital et le grand âge. Alors que le coût annuel de la dette liée au covid-19 supportée par l'État serait d'un peu moins de 1,5 milliard d'euros par an, correspondant aux intérêts, le transfert de cette dette à la CADES, qui devait s'éteindre en 2024, prive la politique sociale de la nation d'une dizaine de milliards d'euros par an de CSG, de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et de cotisations chômage, jusqu'en 2033.

La meilleure des preuves est l'impasse de votre projet, puisque vous n'accordez qu'une fraction de CSG à la CNSA. Ces 2,3 milliards d'euros sont bien insuffisants par rapport à ce qu'évaluait le rapport Libault, et le transfert, bien tardif.

Vous choisissez de rembourser la dette plutôt que de satisfaire les besoins sociaux, de vous priver de tout financement alternatif, qu'il soit de nature monétaire ou qu'il résulte d'une fiscalité dédiée, et de faire payer les Français proportionnellement à leurs revenus, sans prendre en compte leurs facultés contributives, puisque, contrairement à notre proposition, vous avez décidé de ne demander aucun effort supplémentaire aux plus riches, comme les circonstances le commandaient.

Comme nombre de caisses que nous avons consultées, de partenaires sociaux, de Françaises et de Français, d'économistes, nous pensons qu'en dépit de ce que vous affirmez, le choix que vous faites n'est pas le meilleur qui soit.

S'agissant de la création d'une cinquième branche, nous ne pouvons que nous réjouir que la perte d'autonomie soit enfin prise en compte, même si nous ne connaissons aujourd'hui ni ce que seront ses moyens ni la politique publique sur laquelle elle s'appuiera. Nous veillerons à ce que son ambition soit à la hauteur du choc anthropologique que nous avons vécu à l'occasion de cette crise. Pour l'heure, il ne s'agit que d'une annonce, comme vous aviez annoncé une grande loi sur la dépendance, pour décembre. L'idée qu'il n'est plus possible d'attendre pourra du moins nous rassembler.

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