Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie et le projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Ces textes ne sont pas rien : ils ouvrent et appellent à un vaste débat pour définir comment nous absorbons le choc que nous venons de subir et, éventuellement, ce que nous changeons.

Dans une sorte de confusion, il est proposé de faire porter le fardeau financier de la crise sanitaire à la sécurité sociale – M. le ministre a évoqué le « cantonnement de la dette ». Les raisons données manquent d'étayage. Il s'agit de transférer 136 milliards d'euros de dettes existantes et futures à la CADES.

Vous expliquez que charger la barque serait une garantie. Je ne comprends pas bien en quoi. La CADES est chargée d'amortir les déficits accumulés par différentes branches de la sécurité sociale. Sa dette devait être amortie entièrement à compter de 2024, libérant 17 milliards d'euros de recettes, issues de la CRDS et d'une fraction de la CSG.

Nous le savons, la sécurité sociale a besoin de ressources. Son assèchement a constitué un problème majeur, qui nous a placés dans une situation de dénuement face à cette crise.

J'en profite pour signaler que certains des amendements que j'avais déposés au nom de mon groupe, afin de déterminer des ressources supplémentaires, ont été jugés irrecevables car sans lien avec le texte. Je le mentionne car il ne s'agit pas aujourd'hui de se contenter d'être pour ou contre la proposition du Gouvernement.

Le confinement a entraîné une forte contraction de la masse salariale sur laquelle les cotisations sociales sont assises, du fait de l'arrêt de nombreuses activités économiques. Les recettes se rétractent également en raison des mesures de soutien aux entreprises. Dans le même temps, le Gouvernement a dépensé davantage pour faire face à la crise sanitaire, engageant 8 milliards d'euros supplémentaires pour l'achat de matériels hospitaliers, les primes des soignants et la prise en charge des arrêts maladie.

C'est en quelque sorte le retour du « trou de la sécu », une mise en scène qui peut servir à l'avenir à justifier des plans d'économies futures et des compressions dans la sphère sociale, sous couvert d'impératifs budgétaires. Cette option de transfert de dette permet au Gouvernement de maintenir sous pression les dépenses pour de longues années, avec une dette élevée.

Le Gouvernement aurait pu choisir de faire porter cette dette par l'État, considérant qu'il s'agit d'une dette exceptionnelle qui résulte non pas d'une mauvaise gestion dans les différentes branches de la sécurité sociale, mais de décisions prises par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire, d'autant qu'elles ont été très peu discutées avec les partenaires sociaux. L'arrêt administratif de plusieurs activités économiques à la suite du confinement en est un exemple. Le transfert de la dette à la CADES prive la sécurité sociale de recettes supplémentaires.

En mélangeant la question de la dette sociale avec celle de la perte d'autonomie, ce projet de loi vient préempter la nécessité d'une réflexion plus large sur l'élargissement du financement de la sécurité sociale – j'en profite pour regretter qu'il soit examiné en procédure accélérée, ce qui devient une habitude –, élargissement dont la période que nous venons de traverser a montré combien il était nécessaire, pour couvrir les besoins sanitaires et sociaux, et mieux nous protéger à l'avenir.

Il s'agit ensuite d'apporter des moyens supplémentaires à la prise en charge de la perte d'autonomie. C'est évidemment un sujet majeur, et les drames que nous avons connus, pendant la crise sanitaire et avant, exigent une réponse vigoureuse. Or je crains que cette annonce, que vous voulez tonitruante, de la création d'une cinquième branche reste en deçà des besoins tels que les a identifiés le rapport Libault et ne soit en réalité qu'un trompe-l'œil. Mieux identifier les besoins et mieux y répondre ne passe pas nécessairement par la création de cette nouvelle branche, et donc le découpage de l'assurance maladie : la perte d'autonomie résulte d'une aggravation de l'état de santé, et doit donc, en tant que telle, relever de l'assurance maladie. C'est d'ailleurs le cas actuellement, la perte d'autonomie étant majoritairement financée par l'assurance maladie, au titre de la prise en charge des soins des personnes dépendantes.

La création de cette cinquième branche s'accompagne non seulement d'un risque de fiscalisation rampante de la sécurité sociale mais également du risque de voir se développer un nouveau marché de l'assurance complémentaire. C'est donc un sujet qui ouvre de vastes débats, mais je crains que tout ne continue comme avant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.