Je souhaite, en préambule à notre analyse de fond du projet de loi, aborder plusieurs points concernant la méthode qui a présidé à son élaboration.
D'abord, sans revenir sur le principe d'une Convention citoyenne pour le climat, le MEDEF n'est pas vraiment à l'aise avec l'idée du tirage au sort. Nous pensons que c'est au Parlement de fabriquer et de voter la loi. C'est pourquoi cette table ronde est importante.
Ensuite, certains articles du projet ne font pas référence au cadre européen alors que des directives sont en cours de préparation. Il importe pourtant d'observer une certaine cohérence, car la France, même si elle est en avance, doit être alignée avec ses voisins.
Le projet de loi doit également être cohérent avec le droit interne, qui a été enrichi de plusieurs textes dans le domaine environnemental ces dernières années : loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), loi « Énergie climat », loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) et loi d'orientation des mobilités (LOM). Des dispositions de la loi AGEC par exemple, dont certains décrets d'application n'ont d'ailleurs pas encore été publiés, traitent ainsi des mêmes sujets que le projet de loi dit « climat et résilience ». Les entreprises sont prêtes à se transformer, mais la direction de cette transformation doit être claire.
Enfin, l'étude d'impact du projet de loi a été jugée insuffisante par le Conseil d'État – ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il observe une telle insuffisance. Nous partageons cet avis, d'autant que les diverses auditions des partenaires sociaux et des entreprises menées dans le cadre de cette étude nous ont semblé extrêmement brèves. Le travail de votre commission n'en prend que plus d'importance.
Nous ne pouvons que partager l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre – il n'y a pas beaucoup de patrons d'entreprise climatosceptiques –, mais il ne peut pas être atteint par cette seule loi. Le MEDEF est même convaincu que, sans un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, il ne pourra l'être qu'au détriment de l'emploi. Au cours des dernières années, l'industrie française a baissé ses émissions de plus de 20 % mais l'empreinte carbone de notre pays a augmenté, tout simplement parce que nous avons délocalisé nos émissions de CO2. Le MEDEF a, depuis que j'ai été élu, changé de cap pour prendre vigoureusement position en faveur de la taxe carbone. Malheureusement, nous sommes encore loin d'avoir convaincu nos homologues européens et je suis très inquiet quant à la possibilité même de mener au niveau européen des expérimentations par secteur sur la taxe carbone. Ce n'est certes pas l'objet de cette audition, mais je voulais faire passer ce message important.
Du point de vue de sa philosophie, ce projet de loi nous apparaît positif. Le mouvement de protestation des gilets jaunes contre la taxe sur le carburant, qui est à l'origine de la création de la Convention citoyenne pour le climat, a montré que la transition ne se fera pas sans les consommateurs. À cet égard, les mesures prévoyant l'affichage des scores carbone sur les produits, même si elles sont perfectibles, permettent d'envoyer un signal important aux consommateurs. Si ceux-ci ne nous suivent pas, les entreprises pourront toujours verdir leurs process et leurs produits, le problème restera.
La transition énergétique se caractérise par la formidable révolution des métiers et des compétences qu'elle va entraîner. Certains métiers et certaines entreprises risquent de disparaître, notamment au niveau local. Sans un volet particulier sur la transformation des compétences, on passera à côté.
Concernant la rénovation énergétique, la méthode retenue de privilégier l'accompagnement plutôt que d'user de la contrainte nous semble la bonne.
Enfin, nous nous réjouissons que, dans le domaine de la publicité, le texte se fonde sur des engagements volontaires. Cela nous semble important à un moment où les médias sont déstabilisés par les GAFA, qui ne seront pas soumis à cette loi.
J'en viens à quelques points d'inquiétude et d'attention.
S'agissant de l'artificialisation des sols, nous partageons l'objectif de « zéro artificialisation nette », sachant tout de même qu'il faut distinguer entre l'artificialisation liée à l'industrie, celle liée au commerce et celle liée aux logements. Dans l'industrie, il est possible d'atteindre zéro artificialisation nette dans un délai raisonnable du fait de la tendance au compactage des sites industriels, qui libère du terrain. L'exemple du site historique de PSA à Sochaux Montbéliard est significatif : sa surface initiale de 230 hectares a été réduite de plus de 50 % au fil des ans alors que ses capacités de production ont été maintenues. Pour les sites commerciaux, l'objectif semble aussi atteignable, mais il faut gérer cette ambition au plus près des territoires : certaines zones ont besoin de se développer en raison de la croissance de leur population alors que d'autres n'ont pas ce besoin. En revanche, dans le domaine du logement, l'objectif de compactage de la surface occupée par les logements va à l'encontre de l'aspiration de nos concitoyens à vivre en habitat individuel. En outre, il faut prendre en compte les dynamismes démographiques, qui sont inégaux selon les zones. Sans compter que la construction de logements neufs reste inférieure aux besoins, estimés à 500 000 logements.
Le délit d'écocide est également une source d'inquiétude parmi nos adhérents. La plupart d'entre eux, notamment dans le secteur industriel, n'ont retenu du projet de loi que ce terme, l'interprétant comme : « L'économie, ça tue ». Cette interprétation est sans doute plus émotionnelle que rationnelle, mais ce terme laissera des traces dans les entreprises. Il est donc important que les remarques sévères du Conseil d'État sur la rédaction de cet article soient prises en compte afin de garantir une certaine sécurité juridique. Or, en prévoyant un nouveau délit de mise en danger reposant uniquement sur l'existence d'un risque, l'article ne nous semble pas aller dans ce sens.
L'éventualité de la création d'une nouvelle écotaxe ravive les souvenirs brûlants et les polémiques associés à la taxe carbone sur le carburant. Ce n'est pas une bonne idée de la relancer, même si nous en comprenons l'idée. L'histoire montre que ce n'est pas en taxant le transport routier qu'on peut développer la multimodalité. Notre pays connaît un énorme problème de fret ferroviaire. C'est en le développant en quantité et en qualité que nous pourrons faire migrer les volumes de fret du transport routier vers le transport ferroviaire.
Nous sommes favorables au développement de l'économie circulaire, mais il faut être raisonnable et opérationnel, par exemple en matière de recyclage du verre. Des dispositions existent déjà dans la loi AGEC et il vous faudra veiller à ce que les nouvelles que vous voterez s'inscrivent sur la même ligne.
Nous sommes d'accord pour développer la vente en vrac, mais il faut, là aussi, être réaliste. Aujourd'hui, le vrac représente 0,75 % dans les commerces alimentaires ; il ne passera pas à 20 % d'un coup de baguette magique, simplement parce que la loi le décrète. Il pose des problèmes d'hygiène et opérationnels, et les consommateurs ne suivent pas toujours.
Parmi les mesures concernant la consommation, nous sommes favorables à l'affichage du score carbone, dont il est très important qu'il soit harmonisé au niveau européen, notamment au regard de la mesure et du système d'affichage. Si ces derniers sont différents de ce que prévoit la directive en préparation, la vie des industriels et des consommateurs deviendra impossible. On pourrait se retrouver avec deux scores carbone pour un même produit dont l'emballage est utilisé dans plusieurs pays.
Pour conclure, je souhaite insister sur l'importance du dialogue social. Nous sommes favorables à ce que le comité social et économique (CSE) puisse évaluer les conséquences environnementales de la politique des entreprises, mais il ne faut pas que cela soit systématique – certaines mesures qui lui sont soumises n'ont pas de conséquences environnementales. La semaine dernière, le MEDEF a pris l'initiative d'envoyer aux autres partenaires sociaux, qui ont donné leur accord, des thèmes de négociation parmi lesquels figure la transition climatique dans les entreprises, sous l'angle du quotidien des salariés, donc de la mobilité, de l'alimentation, entre autres. Nous prendrons donc la balle au bond dans les entreprises.